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Rire pour mieux réfléchir

La pièce alterIndiens ébranle les idées reçues.

Alexandre Gontier | Le Délit

Dans l’intimité de la salle Fred-Barry, les sièges ont été aménagés en cercle autour d’une scène, campée au niveau du sol ; c’est là que se déploie la pièce alterIndiens. De par le titre, le public peut supposer qu’il s’apprête à assister à une pièce riche d’enjeux contemporains et de conversations importantes – le tout à travers une approche humoristique. La pièce, écrite en 2000 par l’auteur ojibwé Drew Hayden Taylor, est traduite pour la première fois en français par Charles Bender et habilement adaptée pour le Montréal de 2021. Elle met en lumière les relations entre autochtones et allochtones, elle les ressasse et les retourne, pour mieux confronter le public, toutes identités confondues, à ses paradoxes, à ses idées reçues et à son racisme internalisé.

Texte et enjeux

Gabriel, écrivain et personnage central de la pièce, est en couple avec Corinne, professeure de littérature autochtone d’origine juive. La pièce se campe alors que la professeure décide d’inviter à souper un couple d’ami·e·s vétérinaires végétalien·ne·s, en plus de deux ami·e·s d’enfance de son conjoint, Anishinaabeg comme lui, s’identifiant comme activistes radicaux. Les personnages sont aux antipodes les uns des autres et incarnent avec brio des clichés sociaux, mettant ainsi la table pour une soirée mouvementée. Danielle, végétalienne aguerrie, toise de haut le plat de caribou de Bobby ; Yvonne, étudiante à la maîtrise, questionne la légitimité qu’a Corinne d’enseigner la littérature autochtone. Corinne, de son côté, voudrait que Gabriel utilise son talent d’écriture pour raconter ses expériences en tant qu’autochtone plutôt que d’écrire de la science-fiction. Les critiques lancées sont nombreuses mais l’humour et le cynisme qui les entourent affinent et dosent le texte avec précision, atténuant le malaise et clarifiant le message de la pièce. Celle-ci invite au débat et à l’échange entre autochtones et allochtones, à la remise en question – elle se veut « lieu de rencontre ». 

Scénographie et maladresses

Le décor est brillamment épuré – des piles de livres tout en gris tiennent lieu de chaises pour les personnages et d’imposants carrés de lumière blanche baignent la scène. Les livres donnent le ton : l’académisme de Corinne s’impose d’emblée, mais ses certitudes – ce qu’elle considère être de la bonne littérature, par exemple – seront inévitablement ébranlées par ces questions d’appropriation culturelle et de légitimité avec lesquelles elle est confrontée. Néanmoins, quelques choix scénographiques laissent perplexes, comme les rires qui fusent en début de pièce, enregistrés à la manière d’un sitcom – le tout donne lieu à un rythme un peu trop rapide, qui se replace lorsque les rires s’arrêtent et que le couple est rejoint par les ami·e·s. Cependant, la fluidité est brisée par quelques erreurs techniques et trous de mémoire. Les acteur·rice·s ont néanmoins su porter la pièce avec brio malgré tout.

Les relations entre autochtones et allochtones ont évolué au cours des dernières années, nous dit le metteur en scène Xavier Huard dans le programme. La pièce de Taylor remet en question ces relations ainsi que les images que se font beaucoup d’allochtones à propos des autochtones, tout en appelant à l’ouverture d’esprit, à l’humilité et à l’écoute celui ou celle qui se dit allié·e.

alterIndiens  est présenté dans la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 25 septembre.


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