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Lorsque masquer l’identité la dévoile

Entrevue avec une inspirante cosplayeuse amateure.

Cyberfox007

Le cosplay, mot-valise formé de « costume » et « play », est un art de performance et un passe-temps qui désigne l’activité de se costumer en un personnage de culture populaire. Les cosplayeurs et cosplayeuses s’amusent à recréer les vêtements, les cheveux et le maquillage de leurs personnages préférés lors de conventions et de compétitions, mais aussi sur les réseaux sociaux et autres plateformes médiatiques. Le Délit s’est entretenu avec Chloé (@chisai_cosplay sur Instagram), étudiante en théâtre et en création de costumes. Elle est cosplayeuse amateure depuis 2015.

Le Délit (LD): Chloé, tu fais une technique à l’école de théâtre professionnel du Collège John Abbott et te déguises depuis plusieurs années. Comment as-tu découvert ta passion pour le cosplay ? Est-ce que cette passion a évolué à travers le temps ?

Chloé : J’ai découvert le cosplay grâce à la communauté anime et otaku en ligne. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le terme « otaku » est souvent utilisé pour désigner quelqu’un qui est passionné d’anime et de culture japonaise. Je suis tombée par hasard sur des personnes sur YouTube qui créaient des sketchs et se déguisaient en personnages d’anime que je regardais il y a quelques années, Hetalia et Black Butler. Éventuellement, j’ai appris que c’était appelé du « cosplay ». La première fois que je me suis déguisée, c’était avec une perruque d’Halloween de très mauvaise qualité et ma robe de bal de 6e année. J’étais censée être la vocaloid Hatsune Miku. Heureusement, aucune photo n’existe de cet événement !

J’ai participé à ma première convention de cosplay lors de l’Otakuthon 2015. C’est la plus grande convention d’anime au Québec, qui se déroule pendant trois jours au mois d’août. Anime, jeux vidéo, musique, culture japonaise, etc., il y a une variété d’activités et l’ambiance y est superbe ! Une de mes amies m’avait invitée à l’accompagner à la convention, et je voulais vraiment m’habiller en Madoka Kaname. J’ai trouvé une robe vraiment pas chère et une perruque d’assez bonne qualité sur eBay. J’ai utilisé un casque de bain comme bonnet de perruque et je ne savais pas comment me maquiller. C’était très amusant !

LD : Comment choisis-tu tes cosplays ? Est-ce des personnages fictifs auxquels tu t’identifies ou bien crées-tu tes propres modèles de costumes ?

Chloé : Ça dépend vraiment. J’aime me déguiser en personnages fictifs d’anime ou d’émissions télévisées (j’ai eu une très grande phase Doctor Who), mais aussi en personnages inventés par moi-même. Ça me surprend lorsque mes concepts originaux sont aussi bien reçus sur mon Instagram que mes cosplays plus officiels !

Je choisis souvent des personnages que j’aime. Habituellement, ce sont ceux en qui je peux voir un morceau de moi-même. Par exemple, j’aime Izuku de Boku No Hero Academia pour sa détermination ; Rem de Re:Zero pour sa bonté, mais aussi parce qu’elle est timide et souffre d’un manque de confiance en elle-même ; Mayuri de Steins Gate, parce qu’elle est la personne la plus extravertie du groupe et peut toujours faire sourire tout le monde, même si son passé est assez sombre et cache beaucoup de tristesse. Tous ces personnages ne se ressemblent pas du tout, mais si je m’identifie d’une façon ou d’une autre à eux, c’est que le cosplay permet justement l’expression de nos facettes parfois contradictoires ou moins dominantes.

« Tous ces personnages ne se ressemblent pas du tout, mais si je m’identifie d’une façon ou d’une autre à eux, c’est que le cosplay permet justement l’expression de nos facettes parfois contradictoires ou moins dominantes »

Chloé

J’aime aussi me déguiser en des personnages très différents de qui je suis dans la vraie vie. Harley Quinn, par exemple, m’amuse beaucoup parce qu’elle est super extravertie. Pour une convention comme ComicCon, c’est super d’incarner un personnage avec tant d’énergie ! Quant au style, je ne pourrais pas mettre le doigt exactement dessus, mais ce qui m’intéresse le plus, ce sont les thèmes de couleurs et la texture des vêtements. Des personnages comme Tamamo no Mae de Fate Series ou Madoka Kaname de Madoka Magica me fascinent !

Un été, alors que je travaillais dans un camp de jour dans un centre d’art, j’ai entendu l’un des moniteurs parler aux enfants des raisons pour lesquelles il étudiait le théâtre. Il a expliqué qu’être acteur lui permettait de devenir des personnes différentes et d’ainsi vivre un nombre de perspectives qu’une seule existence n’englobe pas habituellement. Ces mots sont restés en moi et expliquent le mieux l’une des raisons pour laquelle je suis si attirée par le cosplay. J’adore comment juste avec une perruque, du maquillage et une tenue intéressante, je peux devenir une personne complètement différente.

krissyz​.photography Cosplay de Harley Quinn.

LD : Peux-tu nous parler du processus de création d’un cosplay ? Achètes-tu le costume déjà fait ou bien le fabriques-tu toi-même ?

Chloé : J’ai déjà fabriqué moi-même mes cosplays, mais j’achète parfois des costumes plus compliqués. Par exemple, j’ai conçu un cosplay d’Izuku, inspiré de son design original, en le modifiant pour une version féminine avec une jupe. Le tout a été fait à la main. Certains cosplays, comme celui de Doctor Who (les 10e et 11e docteurs), sont constitués de pièces achetées dans des magasins d’occasion comme Eva‑B. J’essaie le plus souvent d’acheter de seconde main au lieu d’acheter du nouveau. Pour quelqu’un qui pense commencer le cosplay, je recommande vivement d’acheter de seconde main d’abord. Ça peut être beaucoup moins cher, en plus de donner une seconde vie à un costume ! Et j’ai rencontré certains de mes amis en achetant leurs cosplays usagés !

Certains de mes costumes élaborés, comme Spirit Blossom Ahri de League of Legends, sont achetés neufs. Coudre cela moi-même aurait été tout à fait hors de mes compétences. Je veux vraiment en savoir plus sur la couture et le crafting pour créer moi-même plus de costumes ! C’est la raison pour laquelle j’ai choisi mon programme au cégep. J’apprends également beaucoup des tutoriels que je regarde en dehors de mes cours. Pour ceux qui aimeraient en apprendre plus sur le crafting d’armure ou le foamsmithing (l’art de fabriquer des armes en mousse), je recommande énormément les livres, vidéos, articles de blog et tutoriels de Kamui Cosplay.

« Pour certains, un bon cosplay est un costume qui se soucie des plus petits détails, mais l’important est de s’amuser avec ce qu’on crée »

Chloé

Jusqu’à aujourd’hui, personnellement, la partie la plus difficile dans la création d’un cosplay est mon perfectionnisme. Pour certains, un bon cosplay est un costume qui se soucie des plus petits détails, mais l’important est de s’amuser avec ce qu’on crée. Je suis vraiment du genre à comparer mon travail à celui des autres, et je me perds parfois dans les défauts.

LD : Comment est-ce que le cosplay peut affecter, positivement ou négativement, la vie des personnes qui le pratiquent ? A‑t-il des effets, par exemple, sur la vie sociale, l’estime de soi ou le sentiment d’appartenance ?

Chloé : En fait, je connais plusieurs personnes qui ont découvert leur identité de genre grâce au cosplay, quand elles ont réalisé à quel point elles étaient plus confortables déguisées en un personnage du sexe opposé.

Pour moi, le cosplay m’a aidée à faire tellement de connexions ! Je suis généralement assez timide, mais le cosplay permet de démarrer facilement des conversations, en particulier dans les conventions où tout le monde aime prendre des photos ensemble. Je trouve très facile d’approcher quelqu’un quand je suis déguisée. Non seulement l’amour pour la culture populaire dont le costume est tiré crée un sujet de discussion, mais si les personnes sont déguisées aussi, j’adore prendre des photos avec elles. Durant Otakuthon 2019, quand j’étais déguisée en Izuku Midoriya, j’ai croisé deux personnes habillées comme sa mère, et nous nous sommes bien amusées toutes les trois à prendre des photos ensemble. Je me suis fait tellement d’amis dans la communauté du cosplay !

missymagalie Missy Magalie en Poison Ivy à gauche et Chloé en Harley Quinn à droite

LD : Selon toi, le cosplay pourrait-il occasionner des enjeux ayant trait à l’appropriation culturelle ou bien serait-il plutôt une célébration de la diversité et de l’universalité des goûts ?

Chloé : Il y a certainement des problèmes dans la communauté du cosplay liés à l’appropriation, notamment le « blackface » et le « yellowface ». Malheureusement, certaines personnes utilisent l’appartenance ethnique d’un personnage comme leur costume. C’est fâcheux, mais il n’est pas rare que quelqu’un assombrisse sa peau ou utilise un fond de teint plus foncé pour représenter un personnage noir, par exemple. Un autre problème commun est quand des personnes mettent du face tape sur leurs yeux pour avoir l’air plus « asiatique » ou pour imiter les personnages d’anime.

La conversation autour de l’appropriation ne fait que commencer et c’est certainement un sujet qui doit être abordé plus souvent. Comme dans chaque pratique artistique, le cosplayeur est responsable de ses choix, et nous gagnerons tous d’une plus grande sensibilité sur ces questions.

LD : Es-tu familière avec la communauté de cosplay montréalaise ? Veux-tu nous faire découvrir d’autres artistes de cosplay que tu connais ?

Chloé : Je suis très impliquée dans la communauté cosplay montréalaise sur Instagram ! Je trouve que tout le monde s’entraide et a énormément de talent. Je vais généralement à Otakuthon et à ComicCon, deux événements organisés en été. J’adore le World Cosplay Summit (WCS), un concours international de cosplay et je suis toujours époustouflée par le travail des participants.

Je vous invite fortement à jeter un coup d’œil au magnifique travail de Team Twilight. Ce sont deux cosplayeurs de Montréal (@darkarnivalbutler et @minedoko sur Instagram) qui ont participé aux préliminaires du WCS en 2018 et avaient réalisé de magnifiques cosplays de Joker et Doll de Black Butler.

Vous pouvez visiter @chisai_cosplay sur Instagram pour voir les autres cosplays de Chloé et pour un aperçu de son processus de création.


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