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L’explosion du déclencheur

Une exposition poétique de photographies artistiques par Héloïse Huynh.

Héloïse Huynh | Le Délit

Quand je reprends la caméra, les doigts fébriles, c’est toujours avec un sentiment d’urgence. Il y a cette nécessité de mettre en images ces scènes que je ne m’explique jamais complètement (ces hantises qui ont poussé). Dans la délicatesse pour ne pas les brusquer – mais dans la fulgurance, avant qu’elles ne m’échappent. Il y a aussi quelque chose de réconfortant dans l’idée de revenir où les mots trébuchent mais où les images font sens. Quelque chose arrive enfin à se dénouer devant mes yeux.

Il y a quelque temps, j’ai lu L’heure de l’étoile de Clarice Lispector et depuis, je songe sans cesse aux (explosions) de son personnage Maccabée. (Explosions), toujours en parenthèses dans le livre, causées par l’irruption de ce qui transcende son quotidien, et force un temps d’arrêt.

C’est peut-être ça que je ressens moi aussi, quand j’appuie sur le déclencheur.

(Et alors les hantises prennent vie, explosent en couleurs).

- Héloïse Huynh

Galerie Cygneau.


Héloïse Huynh | Le Délit Des Figurants

Ils ont dit qu’il ne fallait pas 

J’ai repris mes yeux dans les fougères
désentortillé mes genoux, décoloré mes tympans 

à en démembrer le souffle 

Pour atteindre les galaxies
dans la boîte sur la grande étagère
où derrière leurs dents, peut-être. 

Ils ont dit :
« Il n’y a que les fous qui aiment les miettes de musique
la confiture de forêt
et les clochettes des rivières » 

Quand mon visage a coulé de mon visage,
j’ai dit :
« On va dire. » 

Ensemble, nous marchons dans nos souliers vides 

- Marianne Collette


Héloïse Huynh | Le Délit Je vous napperai de zeste


Je tourne autour d’une fontaine chaque jour pour vous rencontrer et vous offrir cette tarte au citron sans meringue. Trempez‑y un doigt, je ne vous retiens pas.

S’il-vous-plaît enterrez-moi avec mon pantalon blanc, mon gilet bleu en mesh et mon chandail jaune phosphorescent. S’il fallait que je sois morte maintenant, je m’enroulerais de ma tenue de star, et puis je serais une star née enterrée.

Si je meurs tout de suite, je n’ai pas appris à coudre, ni à retenir mon souffle dans ma tombe. Si on meurt avant d’avoir découvert le nom du groupe underground qu’on a pas pu former, on doit – il n’y a pas le choix – retenir un petit souffle même en étant mort·e, un souffle qui rit, et déjà il s’est essoufflé, qui rit pourtant de sa maigreur et qui se ménage pour la prochaine fois, la vie d’après je veux dire, pour qu’on se rappelle minimalement dans cette vie-là on a pas de nom, et qu’on a jamais appris à se fabriquer un costume bleu blanc jaune.

Héloïse Huynh | Le Délit


Finalement je ne veux pas qu’on me mette sous terre.

Héloïse Huynh | Le Délit


Je veux qu’on me lance contre une foule lors d’un concert punk.

En attendant je me languis des pans de tissus à draper sur un corps autre que le mien. Je l’appelle comme je me happe à un fjord, je crie immergée. L’art de la subtilité me fuit comme le corps que j’espère, et en attendant mon tour j’offre de la tarte au citron sans meringue aux sans visages.

Je tourne autour d’une fontaine et lorsqu’iels trempent un doigt dans la crème, je dis : je te napperai de zeste. Certain·e·s tombent sur le coup, alors qu’iels n’ont encore rien dit sur leurs derniers vœux, et, c’est encore plus grave, lorsque qu’iels n’ont pas pu me dire comme la dernière note était délectable.

-Anna Lacroix


Héloïse Huynh | Le Délit Des yeux dimanche
Héloïse Huynh | Le Délit

Héloïse Huynh | Le Délit

Ni elle, ni moi n’osions nous servir.

Nous nous sommes regardés
dans le blanc des œufs.
Jusqu’à ce que j’entende
le carré de sucre croquer ses dents
puis la coquille qui craque
et son liquide cru
qui coule sur le crêpe.

J’ai fait accueillir chez moi
l’ambiance d’un dimanche,
tous ses bruits ordinaires,
ont rasé mes nerfs.

Elle avale mes plumes, sans même les mâcher
avec l’air d’une vache
qui tète son propre lait.
une tâche noire gâche la pâleur de son ongle.
Des miettes de sucre
sur ses empreintes moites
ramassées
collent à la cuillère.

Qu’elle parte.

Elle tousse et sa bouche
en plumeau dépoussière les blancs.
Elle s’étouffe
enfin.

Je la regarde faire.
Sa tête dans l’assiette.
Le blanc de ses yeux
reflète mes dents
déchiqueter.

-Alexandre Gontier

Héloïse Huynh | Le Délit


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