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La communauté mcgilloise à bout de souffle

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Le 17 octobre 2020 paraissait dans Le Devoir un texte collectif intitulé « Quand retrouverons-nous les bancs d’université ? ». Signé par plus d’une centaine d’étudiant·e·s , ce texte dénonçait l’impact de la fermeture des universités québécoises sur leurs étudiant·e·s. Il dressait aussi un portrait alarmant de la santé mentale de cette communauté, une situation à laquelle les universités ne pourraient pas remédier en raison des mesures de distanciation sociale : « Nous ne pouvons plus compter sur une communauté universitaire pour nous épauler en cas de détresse. Les services d’aide psychologique des universités, désormais en ligne, ont perdu en chaleur et en humanité. » À McGill, malgré les services offerts aux étudiant·e·s, la session d’automne 2020 demeure éprouvante pour plusieurs.

Soutenir les étudiant·e·s à distance

Le Délit a contacté la docteure Vera Romano, directrice du Pôle bien-être (Student Wellness Hub). Cet organisme mcgillois est chargé d’offrir des services de base pour protéger la santé physique et mentale des étudiant·e·s. Dre Romano s’est exprimée sur les conséquences de la distanciation sociale et des mesures prophylactiques sur les activités de l’organisme. 

L’Université mesure l’état de sa communauté étudiante à travers des sondages, et le taux de participation n’aurait pas été influencé par la COVID-19 pour les trois sondages effectués depuis le début de la pandémie, a affirmé Dre Romano. Les résultats officiels de ces sondages seront révélés vers la fin du mois de novembre 2020, mais la directrice a déjà pu en tirer quelques observations. Le sentiment d’isolement social et physique et la capacité d’attention des étudiant·e·s seraient particulièrement touché·e·s par la virtualisation de la vie universitaire. Les préoccupations concernant le statut migratoire, la santé des proches et les finances personnelles seraient aussi en hausse. 

Le personnel du Pôle bien-être aurait également remarqué trois facteurs principaux expliquant le niveau de stress élevé dans la population étudiante : l’augmentation du nombre d’évaluations, l’isolement académique – qui limiterait la qualité des interactions avec les personnes chargées du soutien académique – et une baisse de motivation générale, causée par des cours en ligne moins engageants et par le défi que représente le maintien d’une hygiène de vie favorable à l’apprentissage.

Depuis cet été, tous les services du Pôle bien-être sont offerts à distance et certains le sont de manière limitée sur le campus, en fonction des besoins individuels et dans le respect des directives gouvernementales. Toutefois, les services offerts par le personnel professionnel ne peuvent pas être donnés aux étudiant·e·s qui se situent en dehors du territoire québécois en raison de restrictions imposées par le gouvernement provincial. Les services en lignes seraient aussi problématiques, selon Dre Romano, car ils augmenteraient les délais d’attente, ce qui diminuerait le temps accordé à la prestation de services. Enfin, le gel d’embauche actuellement en vigueur à McGill annoncé le 30 avril dernier empêcherait le Pôle bien-être de recruter du personnel pour combler les postes actuellement vides ou pour en créer de nouveaux.

Malgré ces problèmes, le Pôle bien-être a tout de même pu offrir de nombreux services à la communauté étudiante, dont plus de 6 000 rendez-vous concernant la santé physique et mentale entre début septembre et fin d’octobre 2020. Dre Romano considère que ces chiffres indiquent une forte demande pour ces deux types de rendez-vous. L’organisme a également modifié son offre de services pour inclure des programmes de gestion du stress, comme des séances de méditation en ligne hebdomadaires et des sessions de création artistique communautaires bihebdomadaires. Des groupes de soutien ont été mis sur pied, dont un pour celles et ceux qui doivent s’isoler lors de leur arrivée à Montréal en provenance d’un autre pays. Somme toute, plus de 250 événements sur le sujet de la santé et du bien-être ont été organisés durant l’été et l’automne 2020 par le Pôle bien-être et par les facultés de McGill. Afin de remédier au fait que les services du personnel de l’organisme ne peuvent être dispensés qu’aux personnes présentes physiquement sur le territoire québécois, un service gratuit et accessible en tout temps, Keep.meSAFE, a été mis en place en collaboration avec les associations étudiantes de l’Université. Ce service permet aux étudiant·e·s de parler à des conseiller·ère·s en santé mentale accrédité·e·s.

 Somme toute, plus de 250 événements sur le sujet de la santé et du bien-être ont été organisés durant l’été et l’automne 2020 par le Pôle bien-être et par les facultés de McGill

Le corps professoral mis à l’épreuve

Le virage vers le numérique a représenté un énorme défi pour les facultés et les départements de l’Université. Contacté par Le Délit, le professeur adjoint Manuel Balán, responsable de la transition numérique du Département des sciences politiques de McGill, a répondu à quelques questions.

Selon Pr Balán, la Faculté des arts et ses départements ont généralement réussi à s’adapter aux mesures de distanciation sociales pour la session d’hiver 2020. Certaines mesures, comme la décision de laisser tomber la matière qui aurait dû être enseignée au cours des deux semaines pendant lesquelles la transition vers l’enseignement à distance s’est effectuée, auraient énormément aidé à compléter la session. Toutefois, a‑t-il souligné, la préparation d’une pleine session en ligne aurait été un tout autre défi. Au cours de l’été, la Faculté des arts a établi des lignes directrices pour la session d’automne 2020 et a mis en place des structures de soutien pour le personnel académique. Le Département s’est assuré que les plans de cours soient conformes aux lignes directrices établies. 

Ainsi, ce ne sont pas que les méthodes d’enseignement qui ont changé, mais la structure des cours elle-même. Les professeur·e·s du Département ont activement participé au processus de redéfinition des cours et ont été très ouvert·e·s aux suggestions en ce qui concerne les méthodes d’évaluation et d’enseignement. Les difficultés liées à l’adaptation varient en fonction des compétences technologiques des professeur·e·s et de la matière des cours, certains cours s’adaptant plus aisément au format virtuel que d’autres. Pour certain·e·s, le travail demandé était quasi-équivalent à la création d’un nouveau cours.

Avec du recul, Pr Balán a affirmé que l’idée de favoriser une multitude de travaux à basse pondération et à courts intervalles est « allée un peu trop loin ». Du point de vue de certain·e·s étudiant·e·s, cela a pu être « écrasant », et un meilleur équilibre pourrait être mis en place pour la prochaine session. Il serait aussi important que les étudiant·e·s prennent activement part à leurs cours afin de contrer le sentiment d’isolement. Toutefois, cela nécessiterait d’arriver à un compromis entre l’engagement actif et le temps passé sur Zoom, qui peut être très éprouvant pour plusieurs. 

Au final, très peu de gens ont préféré les cours à distance, selon le professeur, et cette méthode d’enseignement épuise de plus en plus la communauté mcgilloise. Le travail supplémentaire demandé aux professeur·e·s et les interactions moins engageantes rendent leur travail pénible, même si la plupart continuent malgré tout d’aimer enseigner. Savoir que les personnes qui participent à leurs cours traversent une période difficile est démoralisant, et, malgré leurs meilleures intentions, il est difficile pour les professeur·e·s de répondre pleinement aux besoins de leurs étudiant·e·s. Cela dit, les membres du corps enseignant auraient également conscience de leur chance d’avoir des positions permanentes et des conditions de travail enviables. Somme toute, le professeur estime que le Département des sciences politiques de McGill aurait difficilement pu en faire plus pour s’adapter à la pandémie.

Dans une conférence de presse le 7 octobre 2020, le vice-principal exécutif adjoint à l’enseignement et aux programmes d’étude Christopher Buddle a affirmé que des changements seraient apportés aux lignes directrices de l’Université à la lumière de la session d’automne 2020. Certains seront effectués avant la fin de la session, mais la plupart le seront au début de la session d’hiver 2021.


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