Aller au contenu

Des felquistes à l’affiche

Le Délit a rencontré Flavie Payette-Renouf, co-réalisatrice de la nouvelle série documentaire Le dernier felquiste.

Babel Films

Le 1er octobre dernier paraissait sur Club Illico une nouvelle série documentaire québécoise : Le dernier felquiste. Dans cette série co-réalisée par Flavie Payette-Renouf, Félix Rose et Eric Piccoli, les journalistes Antoine Robitaille et Dave Noël enquêtent sur le mystérieux meurtre de Mario Bachand, l’un des membres fondateurs du Front de libération du Québec (FLQ). Assassiné par balle dans un appartement parisien le 29 mars 1971, Bachand avait plusieurs ennemis qui auraient pu vouloir sa mort. S’agirait-il d’un règlement de compte interne au sein du FLQ ? Serait-ce une élimination stratégique de la Gendarmerie royale du Canada (GRC)? Ou alors une vendetta personnelle contre Bachand ?

De cette série où se chevauchent hypothèses, révélations surprenantes et rencontres avec des felquistes notoires, Le Délit a rencontré l’une des réalisatrices : Flavie Payette-Renouf.


Babel Films

Le Délit (LD): Dans quel contexte est apparue l’idée d’une série documentaire sur Mario Bachand ?

Flavie Payette-Renouf (FPR): Ça remonte à vraiment loin ! Au départ, je m’étais dit que, pour le 45e de la crise d’Octobre, je pourrais faire un documentaire sur l’histoire du FLQ. Je m’étais rendue compte qu’on parlait toujours d’Octobre 70, alors qu’Octobre 70, c’est l’aboutissement de sept ans d’actions violentes, de bombes et de revendications du mouvement terroriste qu’était le FLQ. Donc je me suis dit qu’il y avait vraiment une histoire qui est super importante à connaître et à comprendre. 

J’ai rencontré en 2014 Antoine Robitaille qui, lui, était vraiment obsédé par [la question]: « qui a tué Mario Bachand ? ». […] [Lorsque j’ai rencontré Félix Rose], on a décidé de fusionner nos projets : lui qui avait déjà fait des pré-entrevues avec le FLQ, qui avait des contacts, qui avait la confiance de certains membres. C’est à ce moment là qu’on s’est dit qu’il fallait faire un genre de true crime à la O.J.: Made in America où on raconte un peu l’histoire du mouvement en cherchant qui a tué Mario Bachand. 

LD : Pourquoi parler encore du FLQ 50 ans plus tard ? Quelle est la pertinence d’aborder de nouveau ce mouvement qui a été déjà maintes fois revisité ?

FPR : Le FLQ, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’ils ont utilisé des moyens qui avaient du bon sens. Ça n’a pas de sens d’utiliser la violence, d’utiliser le terrorisme, c’est critiquable. Mais on ne peut pas juste se dire : « ils l’ont fait out of nowhere ». Non, c’est n’est pas out of nowhere. Même si c’est super critiquable, il faut quand même comprendre les raisons, parce que dans toutes sociétés, si on ne comprend pas pourquoi une partie de la population se radicalise, peu importe le sujet pour lequel elle se radicalise, il y a toujours des chances qu’un jour, ça revienne. Que des groupes se sentent opprimés et quils se remettent à tenter d’utiliser la violence pour X raisons. Et donc c’est important de comprendre qu’est-ce qui peut mener des gens à la radicalisation pour éviter que ça se reproduise.

LD : Un documentaire de terrain renferme déjà plusieurs incertitudes, mais une enquête documentaire, ce n’est même plus des incertitudes, c’est carrément des risques ! Pourquoi vous êtes-vous lancée dans une aventure aussi hasardeuse ?

FPR : Parce que c’est trippant ! C’est trippant de parler à ces gens-là. Quand on est allés en France, il y avait quelque chose de très émouvant de se dire que ça fait trois ans que l’on parle de Pierre Barral, Françoise Laville, de ces gens qui ont connu Bachand et d’avoir la chance de les rencontrer. Ce sont des témoins historiques super importants !

Ce qu’on a fait, c’est qu’on s’est assurés au fil du temps de prendre contact avec ces gens-là et d’essayer d’avoir quelques pistes qui nous ont permis de convaincre TVA et Club Illico qu’il y allait avoir des gens qui allaient nous parler et qu’on allait avoir de la matière. C’est sûr qu’il y avait un risque, […] mais on parle quand même au témoin numéro un dans un appel téléphonique vraiment longtemps ! Jamais on a pensé que ça arriverait. On était sûrs qu’il allait raccrocher. Mais comme c’était Félix, le fils de Paul Rose, il s’est confié. Il y avait plein de belles surprises comme ça qui sont arrivées en cours de route. […] Finalement, on a été chanceux, on a pas mal eu le best case scenario.

LD : On peut remarquer que la série est surtout centrée autour de « personnages » masculins. Connaissant votre implication au sein de la lutte féministe, qu’avez-vous pensé de cet environnement presque exclusivement masculin ? 

FPR : En fait, on n’a pas mis les femmes de côté : ce mouvement-là a mis les femmes de côté. Dans les membres du FLQ, il y a eu Michèle Duclos qui a voulu mettre des bombes à New-York, les fameuses dynamites avec les Black Panthers, elle a voulu faire sauter la statue de la Liberté. [rire, ndlr] Elle nous a dit qu’elle ne voulait pas nous parler parce qu’elle était rendue une haute fonctionnaire et qu’elle voulait oublier cette partie-là de sa vie.

Moi, j’essaie toujours d’y penser, de me demander : « Bon, y a‑t-il une autre femme [à qui nous pourrions parler]?» J’ai rencontré des femmes, j’ai parlé à des femmes qui tournaient un peu autour du mouvement, mais tout ce qu’elles me disaient, c’était : « C’était un mouvement macho. C’était un mouvement qui ne faisait pas de place aux femmes. On s’est senties mises de côté. » […] Les quelques-unes qui auraient pu nous parler du FLQ en gardent de très mauvais souvenirs et ont vraiment l’impression qu’elles ont été tassées.

LD : Notre dernière question pour vous est la suivante : Flavie Payette-Renouf, avez-vous résolu le mystère entourant le meurtre de Mario Bachand ?

FPR : Dans la vraie vie de société démocratique, il faudrait qu’il y ait une accusation formelle pour dire qu’il y a un meurtrier. Mais moi, en mon âme et conscience, je pense que je sais qui l’a fait. Est-ce que j’ai tous les motifs, toutes les raisons ? Je crois avoir des pistes de réponses que l’on donne dans la série, mais après ça il restera toujours un petit peu de mystère. Parce que tant que personne ne fera d’aveu formel, il restera toujours une partie irrésolue. Mais je pense qu’on a quand même assez de clés pour avoir une bonne idée de ce qui s’est passé ! 


Flavie Payette-Renouf travaille actuellement sur une série intitulée Avant après sur Savoir média dans laquelle l’équipe retrace des pans de l’histoire à partir de photographies. Elle nous a également mentionné qu’elle travaillait encore avec Dave Noël et Antoine Robitaille et qu’ils planifient une suite. « C’est pas la dernière fois que vous allez nous voir », nous a‑t-elle lancé en riant. 


Dans la même édition