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Repanser la langue

Mahaut Engérant | Le Délit

À toi,

Francophone ou francophile, 

Tu te lances dans une première ou une nouvelle session à McGill. Tu as peut-être sur elle des idées reçues, des rancunes, des attentes, des espérances. Chose certaine, tu étudies maintenant au sein d’une université dite bilingue, si l’on se fie à ce qu’en énoncent les documents officiels. Mais comme la moitié ne sont pas traduits en français, c’est fort possible que je t’induise en erreur. Please excuse me, I am a French Canadian. 

Cette session sera — l’on s’époumone à le répéter — bien différente de ce dont tu es habitué·e. Entre les cours sur Zoom ou en différé, tu pourras — du chaos ou du calme de ta demeure — profiter de l’universalisme qu’offre maintenant l’université.

Tu rejoins une longue lignée de baccalauréats non complétés, de fins de session surchargées, de travaux plagiés. Tu entres dans une grande école où, je te le souhaite, tu pourras t’affirmer, critiquer, dénoncer.

Tu es une possibilité de changement social.
Tu es un poids dans le grand balancier.
Un langage qui t’est propre.
Une voix singulière, articulée. 

Pour une 44e année d’existence, l’équipe du Délit t’offre une demeure — celle des francophones et des francophiles. Celle que l’on veut grandiose et plurielle. Le Délit est né en 1977 dans un presque-pays qui opposait deux solitudes. Un presque-pays qui, quelques années avant de se refuser sa souveraineté, s’est targué d’une loi malgré laquelle le Bonjour/Hi s’est insidieusement imposé. 

Le Délit est né dans un Québec où le français était menacé. Il existe aujourd’hui dans une université où il est malmené, entre les mauvaises traductions, les corrections francophones inadéquates et les problèmes de constitution unilingue. But don’t worry, McGill is a bilingual institution.

Il est si beau de les entendre dire que nous nous plaignons pour rien.

Nos français sont ceux de l’Acadie, de la Belgique, d’Haïti, de la Martinique, de la Suisse, du Luxembourg, de la Côte d’Ivoire. Nos français servent à témoigner, à s’indigner, à se chicaner. Ils se mêlent joliment en cette langue qui se doit d’être habitée.

Quand tu parles, tu la rends grandiose, vivante.
Tu lui insuffles le courage des luttes qu’elle peut porter.
Tu peux la faire ironiser, débattre, plaider, gueuler.

Le Délit oeuvre à repanser la langue, en faire tordre certaines, en délier d’autres.
Nous naviguons la nôtre sur les eaux hostiles de l’espace médiatique.
Exposé·e·s au naufrage, nous tenons bon. 

L’équipe du Délit


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