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À la conquête de vos droits, francophones !

La remise de travaux rédigés en français : les craintes sont-elles fondées ?

Romain Miglio

À McGill, pas moins de 8220 étudiant·e·s, soit près du quart, ont le français comme langue maternelle, et un peu plus de 5000 autres ont le français comme langue seconde (pour un total de 40 493 étudiant·e·s). Sans compter que plusieurs étudiant·e·s internationaux·ales n’ont pour langue maternelle ni le français ni l’anglais. Et cela, l’université semble en avoir pleinement conscience, et prétend vouloir accueillir d’excellent·e·s étudiant·e·s sans regard à leur première langue. Depuis l’année dernière, l’administration semble faire des efforts pour honorer cette intention : du 30 avril 2017 au 1er mai 2018, 78 traducteur·rice·s ont été approché·e·s pour une dépense totale de 356 000 dollars. Depuis le 1er mai 2018, cependant, l’Université a bénéficié de l’aide de 60 traducteur·rice·s, pour une dépense de 175 000 dollars. Si le nombre de traducteur·rice.s a sensiblement augmenté (en calculant le nombre d’ « engagé·e·s » par mois), la dépense pour chacun·e semble avoir diminuée. Et,  bien que nous ne savons pas combien, de ce nombre, font de la traduction de l’anglais vers le français, l’augmentation globale des effectifs indique tout de même une hausse de ces traducteur·rice·s « anglais-français ». Cette hausse ne semble toutefois pas émouvoir le corps étudiant francophone, dont une grande partie semble toujours réticente à l’idée de remettre un travail en français.

Point de vue estudiantin

Nous avons questionné les étudiant·e·s via diverses plateformes Web et les réponses sont mitigées : certain·e·s ont toujours remis leurs travaux écrits en français sans aucun problème, alors que d’autres sont réticent·e·s à l’idée de remettre en français un travail demandé par un·e professeur·e anglophone. Les raisons sont diverses : peur de déranger le·a professeur·e, d’être corrigé·e par un·e TA parlant à peu près français, ou encore de se faire corriger par quelqu’un·e parlant français, mais n’étant pas expert·e de la matière enseignée.

Certains craignent aussi que les TA soient enclin·e·s à des préjugés inconscients, frustré·e·s de devoir passer plus de temps et mettre plus d’efforts sur un travail parce qu’écrit en français, et les jugeant ainsi plus sévèrement. De ce fait,  quelques étudiant·e·s ont déclaré avoir remis, par le passé, des travaux en français, mais seulement lorsqu’ils et elles sentaient que le·a professeur·e était « ouvert·e » à les recevoir. Dans le cas contraire, le manque d’enthousiasme les refroidissait dans l’exécution de ce même droit. 

De plus, le travail de traduction des termes savants appris en anglais représente un autre enjeu restreignant l’étudiant·e francophone.

En somme, aux yeux de ces professeur·e·s, bien qu’aucun processus spécifique quant à la correction des travaux écrits en français n’ait été mis en place, ce droit étudiant est tout de même respecté

Pour d’autres, écrire en français à McGill n’a jamais été un problème, et la revendication de ce droit a été « brandi, tel un inquisiteur avec sa bible », comme l’affirmait un étudiant sur Facebook.

Du côté des professeur·e·s

Suite à une correspondance électronique avec certain·e·s, et une discussion de vive voix avec d’autres, il est possible de faire ressortir les nombreux points communs de chacun de ces entretiens. La question qui regroupait (presque) tous les autres avait trait aux ressources accessibles aux professeur·e·s quant à la correction de travaux rédigés en français. Plusieurs d’entre eux·elles nous ont confirmé qu’ils·elles parlaient soit couramment français, soit suffisamment pour être en mesure de corriger. Et pour ceux et celles pour qui n’était pas le cas, il semblait clair pour tous et toutes qu’il était très aisé de trouver soit un·e collègue, soit un·e TA qui puisse le faire. En somme, aux yeux de ces professeur·e·s, bien qu’aucun processus spécifique quant à la correction des travaux écrits en français n’ait été mis en place, ce droit étudiant est tout de même respecté dans le cadre professoral, et chaque étudiant·e désirant remettre son travail en français est en mesure de le faire. Ainsi, la remise de travaux écrits en français restait facile et accessible selon les professeur·e·s consulté·e·s.

Le nœud

Revenons à ce problème soulevé par un étudiant, qui semble encore irrésolu : que faire de ces biais (stéréotype sur les francophones, frustration due au temps et à l’effort) qui influenceraient la correction, et donc la note, d’une dissertation ou d’un examen, à la baisse ? Et bien, si vous croyez avoir été corrigé·e injustement, vous pouvez toujours demander une révision de note. Évidemment, cela demande du temps supplémentaire à l’étudiant·e en question, mais il faudrait commencer par remettre nos travaux en français si nous souhaitons améliorer ce système de l’intérieur, quitte à devoir demander quelques révisions de note.

Des solutions ?

Si, vraiment, l’administration tient à ce que le corps étudiant soit parfaitement à l’aise de remettre des travaux rédigés en français, plusieurs choses concrètes pourraient être faites, ou faites à une plus grande échelle. Par exemple, le nombre de traducteur·rice·s engagé·e·s ayant augmenté, il serait sûrement possible d’offrir plusieurs documents académiques en anglais comme en français, sans compter que plusieurs traductions françaises de textes anglais existent déjà, et il suffirait donc de les rendre accessibles sur myCourses, par exemple. Cela viendrait alléger ce « surplus de travail », la traduction des termes savants, qui rebuterait certain·e·s étudiant·e·s francophones. Une autre solution, toute simple, serait pour les professeur·e·s, en début de session, d’encourager le corps étudiant francophone en lui expliquant ce qui a été dit dans le cadre des entretiens (ci-haut) : qu’ils·elles trouveront toujours quelqu’un·e de bilingue ou en mesure, linguistiquement, de corriger leurs travaux. En d’autres termes, d’y accorder une importance particulière pendant cinq minutes, au premier cours de chaque session, afin de rassurer les étudiant·e·s.

Enfin, bien que certaines injustices isolées quant à la remise de travaux en français dans le contexte mcgillois aient déjà eu lieu, il semble que les questionnements des étudiant·e·s reposent surtout sur des préjugés d’une possible appréhension anglophone envers les francophones. Or, si l’on veut voir ce droit prendre une plus grande ampleur et devenir normal aux yeux des professeur·e·s et des étudiant·e·s, peut-être faut-il simplement le mettre un peu plus en exercice pour en trouver les failles, et le pallier. 


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