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Des processus déstabilisés de A à Z

Si les représentations ne sont que les pointes visibles du travail artistique, la pandémie n’a pas pour autant épargné tout ce qui les précède.

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Bien que, dans l’imaginaire collectif, la vie d’artiste semble souvent se limiter à la scène et aux stéréotypes de la rockstar, la réalité est toute autre. En amont des produits finaux des artistes se trouvent la création et la mise sur pied des oeuvres d’art : une chanson ne peut pas être mise en ondes si elle n’a pas été enregistrée ; un film ne peut pas être visionné s’il n’a pas été filmé ; et une exposition ou une pièce de théâtre ne peuvent pas être présentées si elles n’ont pas été montées. Toutes ces étapes qui semblent pourtant anodines n’en sont pas moins essentielles. La pandémie est venue révéler leur fragilité. 

Silence radio dans les studios 

Avec le confinement, les enregistrements studios professionnels sont devenus de réels casse-têtes pour les artistes et les ingénieur‧e‧s du son. En temps normal, le‧la rappeur‧se envoie ses chansons à un‧e ingénieur‧e du son professionnel afin que celui‧celle-ci fasse le mixage et le mastering desdites chansons. Lorsque l’ingénieur‧e a terminé le mixage, il‧elle l’envoie au‧à la rappeur‧se et les deux parties peuvent ensuite se rencontrer pour faire des ajustements. 

C’est de cette manière que travaillaient les rappeurs Fouki et Koriass pour leur album commun Génie en Herbe, du moins jusqu’à ce que frappe la pandémie. Bien que la date de sortie n’ait pas eu à être déplacée, la finalisation de l’album a tout de même dû se faire selon les coutumes de la  COVID-19. « Une chance qu’on avait fait la majorité de l’album avant [la pandémie]. Mais ça fait quand même chier de faire du [mixage] à distance et de s’envoyer des immenses listes sur Messenger [de chaque petit détail à changer] dans le beat », nous a laissé savoir Fouki. 

Par chance, ce dernier avait terminé d’enregistrer ses couplets, un luxe que n’a pas pu se permettre son acolyte : « Koriass n’avait pas de studio chez lui. Il s’est fait une session [d’enregistrement] avec MOC [l’ingénieur du son en charge de l’enregistrement, ndlr] au chalet. Ils se sont fait deux sessions durant la COVID avec masques et distanciation. On n’avait pas le choix ! » 

« Quelques-uns font des maquettes à la maison, mais dès qu’on parle d’enregistrement concret pour un produit final, il y en a plusieurs qui n’avaient pas accès à un studio »

Carlos Munoz

Plusieurs rappeur‧se‧s ont carrément dû arrêter toute session d’enregistrement professionnel en cours. Ce fut le cas pour les artistes de Joy Ride Records : « Quelques-uns font des maquettes à la maison, mais dès qu’on parle d’enregistrement concret pour un produit final, il y en a plusieurs qui n’avaient pas accès à un studio », nous explique Carlos Munoz, co-fondateur de la maison de disque. 

Perturbation de la promotion

Mis à part la création et l’enregistrement des chansons, la promotion des projets constitue une autre composante essentielle du milieu musical. Selon Carlos Munoz, la « durée de vie » d’un album peut varier de « quelques mois à des années. Un album comme Une année record de Loud est hautement consommé encore deux ans, presque trois ans, après la sortie ». Il précise tout de même qu’il s’agit là d’une exception : « Mais ça, ce sont des grands albums qui ont eu un effet immense sur la culture. Ce sont des albums qui sont devenus des classiques et qui vont perdurer bien au-delà de la durée de vie habituelle d’un album. » 

Un des rôles les plus importants d’une maison de disque est donc d’augmenter la durée de vie des projets, peu importe leur envergure ou leur notoriété. Pour ce faire, existe notamment le vidéoclip qui, pour Carlos Munoz, « est un outil de promotion et de branding très, très important dans la musique aujourd’hui. » 

Chez Joy Ride Records, au niveau des vidéoclips, la paralysie est généralisée : « Tous les tournages ont été arrêtés, donc on a pris du retard là-dessus. Non seulement sur la production des albums au niveau des chansons, mais ensuite au niveau de la promotion. Il y a des projets qui étaient déjà prêts et qu’on a dû repousser parce qu’on ne pouvait pas faire de clip. » Les albums prévus pour l’automne 2020 vont donc très certainement être retardés par la multitude d’inconvénients liés à la COVID-19.

« Tous les tournages ont été arrêtés, donc on a pris du retard là-dessus. Non seulement sur la production des albums au niveau des chansons, mais ensuite au niveau de la promotion »

Carlos Munoz

3, 2 (mètres de distance), 1… Action !

Surprenamment, le milieu cinématographique ne semble pas avoir été particulièrement ralenti. Tant lors des tournages de fiction, de documentaire ou de publicité, nombreux sont les producteurrices et réalisateurrices ayant fait face aux problèmes causés par la pandémie avec ingéniosité. 

Luc Déry, producteur et fondateur de la société de production micro_scope, était censé, au mois de janvier dernier, tourner une scène du film Les oiseaux ivres en Chine. La situation sanitaire du pays a forcé l’annulation du voyage et a poussé l’équipe de production à trouver des alternatives. La tâche n’est pas mince : « On doit un peu recréer la Chine », explique Luc Déry. Inévitablement, le processus en est chamboulé : « On va tourner [une] version plus intimiste [de la scène] dans [un] atelier d’artiste, mais ici, [à Montréal]. »

Toutefois, les tournages n’en sont pas plus simples au Canada : « Je reviens d’une réunion de préproduction où nous sommes allés visiter un lieu de tournage. C’est très confrontant ! », admet le producteur. Les plateaux n’échappent pas aux normes de distanciation sociale et des protocoles « très stricts » ont été mis sur pied pour assurer la sécurité de tous et de toutes, mais l’enjeu pour les acteurs et actrices reste important. « Les comédiens ne pouvant pas avoir de masque, il faut arranger un peu nos mises en scène pour que les gens soient à deux mètres de distance ou faire des trucages de caméra [pour simuler la proximité] », explique Luc Déry. 

Les comédiens ne pouvant pas avoir de masque, il faut arranger un peu nos mises en scène pour que les gens soient à deux mètres de distance ou faire des trucages de caméra [pour simuler la proximité].

- Luc Déry

Certaines équipes de production, afin de contourner ces problèmes, sont mises en confinement dans un hôtel durant 14 jours. Après avoir fait passer des tests de dépistage de la COVID-19 à tous les membres de l’équipe, les tournages peuvent alors reprendre comme avant, mais dans des huis-clos en évitant tout contact avec des personnes extérieures.

Pour le milieu de la publicité, la situation a été tout autre. « Ironiquement, le milieu de la publicité a été considéré comme un service essentiel », rapporte Luc Déry. « Alors ils ont continué les tournages, mais de façon très inventive ! » L’une des méthodes employées consistait à remplacer l’équipe de tournage par les membres d’une vraie famille habitant tous sous le même toit. Tout, des lieux de tournage jusqu’aux décors, doit être désinfecté avant chaque tournage. Luc Déry raconte l’histoire d’une amie productrice : « Elle avait envoyé des éléments de décors qui avaient été livrés, qui avaient été prédésinfectés et qui ont été en quarantaine pendant trois jours. Ça, c’est un truc un peu fou, là ! » 

Bien que le déconfinement ait commencé au Québec, les normes de sécurité prévalent tout de même sur tous les plateaux. Les tournages ne sont donc pas près de revenir à la normale.


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