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Vers un nouveau fédéralisme post-covid ?

Daniel Béland se prononce sur l’impact de la COVID-19 sur le Canada. (3|4)

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Le Délit s’est entretenu avec le spécialiste Daniel Béland, professeur titulaire de la chaire James McGill au département de sciences politiques et directeur à l’Institut d’études canadiennes de McGill (IÉCM), sur les conséquences de l’épidémie mondiale de COVID-19 au Canada. Cet article est le troisième d’une série de quatre, portant sur la façon dont l’épidémie s’inscrit dans le système fédéral canadien.

Le Délit (LD) : Le gouvernement est confronté à une crise qui présente des contraintes doubles. D’un côté, les revenus commencent à disparaître, et de l’autre, les dépenses explosent. Mais si cette pression budgétaire s’exerce sur tous les paliers de gouvernance (provincial, fédéral, municipal), tous les gouvernements ne possèdent cependant pas les mêmes ressources pour faire face à ces contraintes. De quels mécanismes dispose donc le système canadien pour faire face à ces inégalités de pressions budgétaires, entre niveaux de gouvernance, mais aussi entre différentes provinces qui sont différemment affectées par cette crise ?

Daniel Béland (DB) : Au Canada, il existe trois transferts fédéraux principaux, ainsi qu’un programme pour les territoires, qui est cependant assez marginal sur le plan fiscal et démographique. Premièrement, il y a le programme de péréquation, qui dessert les provinces dont la capacité fiscale est sous la moyenne. Ensuite, le plus gros programme, c’est le transfert canadien sur la santé. Ça, c’est 40 milliards de dollars, alors que la péréquation, c’est à peu près 20 milliards. Finalement, il y a aussi le transfert sur les services sociaux, qui concerne notamment l’éducation postsecondaire, soit à peu près 17 milliards ou 16 milliards de dollars.

Ça, c’est en temps normal. Mais là, évidemment, il y a des besoins qui sont criants. Je pense qu’on le voit, par exemple, dans le domaine des soins de longue durée pour les personnes âgées : c’est un secteur qui est sous-financé. La crise est particulièrement importante au Québec, mais on voit qu’il y a des problèmes partout au pays. On va donc voir que les provinces vont demander plus d’argent, surtout en santé, parce que les coûts de santé ont augmenté dans le contexte de cette crise sanitaire. 

Cela dit, on oublie souvent de parler du municipal parce que ce sont les provinces qui contrôlent les municipalités ; on dit souvent que les municipalités sont les créatures des provinces. Les municipalités dépendent aussi du financement fédéral dans certains domaines, notamment dans celui des infrastructures et dans celui de la taxe sur l’essence. Les municipalités, en ce moment, ont vraiment de gros problèmes, concernant, par exemple, les transports en commun, où la baisse d’achalandage est énorme. On le voit à Montréal : l’achalandage est tombé de 85%. Même chose à Toronto, à Vancouver. On parle de centaines de milliers de dollars que les municipalités perdent à cause de cette baisse de fréquentation dans les transports en commun, et il y a d’autres secteurs aussi où il y a une augmentation des coûts. 

Donc finalement, on se retrouve avec des municipalités qui vont faire face à des crises financières importantes. Et en vue de cela, je pense qu’il va falloir repenser le fédéralisme fiscal, tant pour ce qui est de l’aide fédérale (des transferts fédéraux aux provinces et aux territoires), mais aussi pour tout ce qui est de la question des municipalités. Et ça implique, à terme, qu’il va falloir réfléchir à notre système de taxation. Parmi les pays de l’OCDE [l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques, ndlr], le club des pays riches, le Canada est quand même sous la moyenne en termes de fardeau fiscal. Si la crise se prolonge, il va falloir trouver des sous pour aider les chômeurs, et pour soutenir le secteur de la santé et les municipalités. Plus ça se prolonge, plus ça coûte cher et plus il va falloir repenser notre système fiscal – autant le fédéralisme en tant que tel que, plus généralement, la taxation : qui paie et comment.

LD : Vous parlez de repenser le fédéralisme fiscal. Est-ce qu’on est en train de dire qu’il faudrait donner plus d’autonomie ou plus de pouvoir aux municipalités ?

DB : C’est-à-dire que les municipalités ont un pouvoir de taxation qui est assez limité. Donc je pense que la redistribution, surtout, peut être importante : avoir soit le fédéral, soit les provinces, qui attribuent aux municipalités plus de stabilité sur le plan fiscal parce que souvent, lorsqu’il y a des coupures, on recoupe les transferts (dans le cas des provinces) aux municipalités. Les municipalités sont donc très vulnérables. Je pense qu’il faut avoir une sorte de nouveau contrat (contrat fiscal), si l’on veut, entre les municipalités et les gouvernements provinciaux et le fédéral. Le pouvoir fédéral pourrait augmenter les transferts aux provinces, à condition que l’argent soit directement versé aux municipalités.

LD : Cette dernière option (transferts directs fédéraux municipaux) ne causerait-elle pas des problèmes politiques ?

DB : Oui, pour des raisons évidentes, surtout au Québec : le gouvernement provincial veut garder le contrôle sur les municipalités. Mais il pourrait y avoir, aussi, un système asymétrique où le Québec aurait des conditions différentes des autres provinces. 

Ce qui est certain, comme j’ai mentionné, c’est qu’il faudra trouver un moyen de renforcer la capacité fiscale, ou du moins, l’assiette fiscale des municipalités, surtout dans une période de décroissance ou de crise économique qui les affecte de façon particulière comparée aux provinces. Le fédéral ayant une capacité d’emprunter beaucoup plus élevée que les provinces — la capacité fiscale la plus élevée de loin — a donc le rôle le plus important à jouer, mais ça doit descendre ensuite vers les provinces et les municipalités.

LD : Le Canada doit donc emprunter beaucoup en cette période de crise. C’est normal. La dette par rapport au PIB devrait augmenter significativement, d’une dizaine ou d’une vingtaine de pourcentages. Est-ce que ça va affecter la politique à moyen terme, dans les prochaines années ?

DB : Oui, et on n’est pas le seul pays dans cette situation-là. Avant la crise, on était le pays, dans le G7, qui avait l’une des meilleures situations fiscales. C’est sûr que la crise nous affecte directement. Ça va augmenter les déficits et la dette, pour les provinces autant que pour le fédéral. Cela va évidemment dépendre de la durée de la crise, mais c’est sûr qu’on peut s’attendre, à moyen terme, à la possibilité de hausses d’impôts, de taxes, dont j’ai parlée, mais aussi de hausses d’austérité budgétaire. Mais pas en ce moment, car il faut essayer, à court terme, de maintenir l’économie en suivant une stratégie keynésienne d’urgence. On dépense le plus possible. On envoie de l’argent aux chômeurs, qu’ils soient qualifiés ou pas (on va le vérifier plus tard). Mais l’important, c’est que les gens continuent à consommer, que l’économie continue à rouler. De là l’idée de décloisonner, ou de rouvrir l’économie de façon partielle : il faut dépenser, en ce moment, pour que l’économie survive. Mais le déficit budgétaire, dans tous les cas, devrait augmenter de façon très importante très rapidement.

Les propos de M. Béland ont été édités par souci de concision. Propos recueillis le mardi 12 mai.


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