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Finir de décorer sa chair

Évangéline Durand-Allizé

Près de chez moi, il y a la route, mais je n’entends pas les camions. J’ai plusieurs tomates sur le comptoir et j’oublie souvent la couleur rouge. Tout le monde est hanté par la mort et mon tracas, le mien, n’est pas de perdre la vie ; je ne la connais pas.

Depuis que tu fumes la cigarette tout le temps, je m’imagine fumer la cigarette tout le temps. J’espère une descente comme la tienne. Me poser sur la dépendance.

Moi, on me prend toujours. On me tire hors des sentiers terrestres, hors des limbes aussi : on me propulse ailleurs. Un lieu où l’on m’apprend à ruser l’amour, à rendre mes regards impénétrables. Parfois j’ai des bribes d’un instant où ma vision est claire. Le temps d’une impermanence, mon bassin devient chaleur. Je reviens là où la pluie repose. J’aimerais y demeurer. Car même si la douleur me saisit, enfin j’entends, je vois et respire.

J’ai voulu jeter mon corps hors des fantômes, jouer au contrôle, décorer ma chair, élever mon empire au-dessus des saisons. La nature a suivi les pas que je lui ai indiqués ; les vérités se prêtent à d’autres corps que le mien. Les papillons ne risquent plus le chemin jusqu’à ma gorge et j’ai misère à toucher.

Depuis que tu fumes la cigarette tout le temps, je t’observe désirer, te sentir fragile, te gaver de matière. Faire vie avec le reste.

J’aimerais te rejoindre lorsque tu t’assois sur le balcon. Arrêter de retarder l’amour.


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