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Reflux boursier et vide sociétal

La pièce Le marteau et la faucille dénonce l’absurdité d’un monde capitaliste. 

Simon Gosselin

Les 24 et 25 septembre derniers, l’Usine C présentait Le marteau et la faucille, nouvelle création du grand romancier états-unien Don De Lillo adaptée pour la scène par Julien Gosselin. Il ne s’agit pas d’une première union entre l’auteur et le metteur en scène ; pour l’édition 2018 du Festival d’Avignon, Gosselin transpose ingénieusement les mots de trois romans signés DeLillo en parole pour la scène, adaptation qui connaît un certain succès. Les nouvelles réflectives et provocatrices de l’auteur se prêtent merveilleusement au jeu de Gosselin, qui, avec Le marteau et la faucille, offre un théâtre immersif et angoissant.

Quatre murs blancs

Un décor, un comédien, un monologue. Une heure. Au centre d’une scène blanche, vide, rappelant les quatre murs ternes et insignifiants d’une cellule de prison, un homme en chemise est assis sur une chaise. Une trame sonore monocorde et un immense écran teinté de rouge accompagnent le décor. Ainsi demeure la composition de la pièce du début jusqu’à la fin. Certain·e·s pourraient anticiper qu’une telle immobilité indispose les spectateur·rice·s, mais au contraire, cette stagnante atmosphère raffermit le mal-être apparent du personnage principal, Jerold Bradway. Détenu dans une prison pour magouilles financières, l’ancien banquier et (ex) père de famille décrit le vide suffocant de son existence et exhale en un long monologue l’hilarité de notre société capitaliste. 

Vraisemblablement au lendemain de la crise économique de 2008, une émission télévisée révèle deux fillettes, les filles de Jerold, discutant de l’actualité et des tendances du marché. L’offre et la demande, le flux boursier, le pétrole : tous banalisés par les voies innocentes des deux gamines. Jerold, qui suit assidument l’émission, attribue un sarcasme sournois aux propos des filles et tourbillonne dans des pensées absurdes et schizophréniques. La pièce se conclut sur une image percutante : celle de Jerold, debout en haut d’un pont transverse à une autoroute multivoie, qui décrit le va-et-vient incessant des voitures. Les conducteur·rice·s avançant tous·tes vers un vide perpétuel semblable à celui qui l’habite lui.

Prouesse de Drouet

Un véritable one man show, Joseph Drouet livre une performance inoubliable. L’élégance avec laquelle le comédien interprète les différents personnages (père, filles et codétenu) et ses expressions faciales, qui dénoncent avec tant de précision la lourdeur de son discours, font de la pièce une œuvre sensible et émouvante. L’élocution méticuleuse du lexique riche et complexe du long monologue semble couler des lèvres de Drouet avec un naturel déconcertant. 

Des mots à la scène

La simplicité de la mise en scène ainsi que la qualité très littéraire de la pièce respectent l’intention de Don De Lillo, qui critique l’absurdité du monde d’aujourd’hui. Rappelant un livre audio, la pièce mise beaucoup sur l’imagination de l’auditoire et lui permet de créer son propre univers illustré comme l’on peut le faire avec un roman. Cette liberté est rafraîchissante. La cadence angoissante de la trame sonore accompagne à merveille le débit rythmé du comédien. Malgré certains passages compliqués, manquant de souffle, le monologue illustre bien l’anxiété d’un monde dirigé par les devises, l’argent et le matériel. Ξ


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