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Entrevue avec Alexandre Boulerice

Le Délit a rencontré Alexandre Boulerice, député de la circonscription de Rosemont-La Petite-Patrie depuis 2011 et chef adjoint du Nouveau Parti Démocratique (NPD) depuis cette année.

Rafael Miró | Le Délit

Le Délit (LD) : Les libéraux ont fait de la question des droits des Premières Nations un des piliers de leur politique dans les dernières années. Pourtant, il reste encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir dire que les Autochtones sont traités de la même façon que le reste des Canadiens. Quelle est votre appréciation du bilan de Justin Trudeau et quels sont les projets de votre parti pour améliorer leurs conditions de vie ?

Alexandre Boulerice (AB) : Le bilan de Justin Trudeau, sur la question autochtone comme sur plusieurs autres questions, c’est beaucoup de beaux discours et peu d’action. Derrière ses promesses de réconciliation, le gouvernement libéral a continué, comme les conservateurs le faisaient avant eux, de contester en justice les demandes qui sont faites par les nations autochtones, notamment celles au sujet du droit des enfants à des soins de santé. Dans beaucoup d’endroits, l’insalubrité des logements, l’accès limité à l’électricité et le manque d’eau potable sont la source de beaucoup d’insatisfaction chez les Autochtones.

LD : Ce printemps, le gouvernement québécois a adopté sa fameuse loi 21 sur la laïcité. Quoique cette loi soit plutôt populaire parmi l’électorat québécois, elle est décriée par plusieurs au Canada. Quelle est, dans un premier temps, l’opinion de votre parti sur la question et, dans un deuxième temps, que serait-il prêt à faire pour s’y opposer ?

AB : Premièrement, au NPD, on reconnaît la nation québécoise et le fédéralisme asymétrique. Donc, dans ses champs de compétence, nous pensons que l’Assemblée nationale est souveraine et nous allons respecter sa volonté.  En même temps, nous sommes contre ce projet de loi-là, nous le déplorons ; pour nous c’est triste, comme société, qu’on en arrive là. Il y des contestations judiciaires qui sont déjà lancées, et on va observer ça avec beaucoup d’intérêt. Nous ne voulons pas d’une intervention du gouvernement fédéral ; je crois que les chartes sont assez solides pour être défendues. […]

LD : Votre parti défend depuis des années l’instauration d’un système proportionnel. Ce changement avantagerait beaucoup les petits partis, comme le Parti vert ou le NPD, au détriment des gros partis que sont le Parti conservateur et le Parti libéral. Comment est-ce que ce changement pourrait mieux servir les Canadiens selon vous ?

AB : Je pense que le système proportionnel avantagerait d’abord les citoyens et les citoyennes, qui verraient leurs votes et leurs voix vraiment représentés. Là, on est dans un système où on a de fausses majorités, comme c’est arrivé les deux dernières fois : un parti peut obtenir une majorité en chambre avec 38 ou 39 % des votes exprimés, et, après ça, ne pas être obligé d’écouter personne. Un système proportionnel serait beaucoup plus représentatif et forcerait les partis à parler ensemble, à trouver des consensus, à trouver des compromis. Traditionnellement [au NPD], on fait la promotion du système allemand, où la moitié des sièges sont territoriaux, comme pour les circonscriptions aujourd’hui, et après ça le reste des sièges qui sont accordés en compensation pour que le nombre de sièges d’un parti reflète le nombre de voix qu’il a eu.

Le bilan de Justin Trudeau, sur la question autochtone comme sur plusieurs autres questions, c’est beaucoup de beaux discours et peu d’action.

LD : Est-ce qu’un système proportionnel, en ouvrant la porte à la représentation de plus de partis, ne pourrait pas donner plus d’importance aux partis d’extrême droite ou d’extrême gauche ?

AB : Il faut mettre un treshold, une limite en dessous de laquelle les partis ne bénéficient pas du système proportionnel. Généralement, cette limite se situe autour de 5 ou 7%, il y a même des pays qui vont jusqu’à 10% ; personnellement, je trouve ça très haut. [Par contre], dans des pays comme Israël où la limite est à 1%, ce qui est vraiment très bas, on assiste à l’éclatement des partis politiques et ça devient très difficile de gouverner.

LD : Depuis le début du mandat libéral, l’économie se porte plutôt bien. Pourtant, contrairement à ses prédécesseurs, Justin Trudeau a choisi de ne pas chercher à atteindre le déficit zéro. Pensez-vous que ces politiques sont justifiées et viables à long terme ?

AB : Au NPD, nous ne faisons pas une obsession de la question du déficit. Nous sommes conscients que, des fois, il faut investir, pour, par exemple, relancer l’économie. Par contre, comme l’économie va bien, c’est étonnant d’avoir de si grands déficits en ce moment. C’est là où on a une certaine inquiétude ; ça ne répond pas, disons, à la logique keynésienne de gestion des déficits et des revenus. En plus, il y n’y a pas de très grands projets d’infrastructure au fédéral en ce moment, à l’exception du pont Champlain. Je pense que les finances du gouvernement du Québec sont beaucoup plus saines en ce moment que celles d’Ottawa. Par contre, la bonne nouvelle, c’est que le ratio de la dette par rapport au PIB a diminué dans les quatre dernières années. Pour nous, c’est là la donnée qui est la plus importante. 

LD : Si le gouvernement libéral a toujours affirmé qu’il se préoccupait de l’environnement, il n’en demeure pas moins que son bilan est très critiqué par plusieurs environnementalistes au pays. Que pensez-vous du bilan environnemental du présent gouvernement et quelles sont les propositions de votre parti en la matière ? 

AB : Le bilan environnemental des libéraux est extrêmement décevant et ils sont, d’après moi, très hypocrites sur la question. Encore une fois, beaucoup de beaux discours et très peu d’action, ou encore des actions contradictoires. 

J’étais à la COP24 en décembre dernier en Pologne ; Catherine McKenna, la ministre de l’Environnement, va au podium et prononce un discours [incroyable] sur l’état désastreux de la planète et sur les politiques qu’on doit se dépêcher de prendre pour y remédier. Par contre, j’ai envie de lui dire : « Pourquoi t’as acheté un pipeline alors ? Pourquoi tu continues de subventionner l’industrie pétrolière et gazière [à coup de] milliards de dollars chaque année ? » On ne peut plus attendre ; il faut changer. Oui, ils diront qu’ils ont mis un prix sur la pollution, une taxe sur le carbone, mais ça leur a pris trois ans et demi pour le faire. Ça reste une taxe qui est très faible et fondamentalement, pour nous, c’est clair que ce n’est pas suffisant comme mesure. 

Nous, on veut d’abord cesser toute subvention aux industries pétrolières et gazières et remettre tout cet argent-là dans [le développement des] énergies renouvelables. On veut créer une banque climatique avec laquelle on va donner des garanties de prêt à des entreprises, des citoyens ou des groupes communautaires qui ont des projets pour réduire leur empreinte carbone. On veut électrifier les transports et faire de la rénovation écoénergétique sur tous les bâtiments au Canada d’ici 2050. Pour nous, la question des émissions de gaz à effet de serre ne passe pas juste par le secteur de l’énergie, elle passe aussi par le transport, le secteur agricole, le secteur du bâtiment et l’ensemble de ce qu’on fait comme société. 

LD : Ces élections sont un peu différentes que les précédentes pour le NPD parce qu’avec la montée du Parti vert dans les sondages, il n’est plus le seul parti progressiste conséquent sur la scène fédérale. Qu’est-ce qui différencie, selon vous, le NPD du Parti vert et est-ce que la compétition entre ces deux partis pourrait nuire à la cause progressiste au pays ?

AB : Je dirais que nous, au NPD, nous misons sur deux choses : la justice sociale et l’urgence climatique. Sur le côté de la justice sociale et de la protection des travailleurs, le Parti vert est beaucoup moins actif que nous ; son programme n’est pas tellement élaboré, il ressemble beaucoup plus à une liste de vœux pieux qu’à une véritable plateforme. On le dit vite un peu que le Parti vert est progressiste ; il y a des gens progressistes au Parti vert, mais quand ton slogan, c’est « ni de gauche ni de droite », tu ne peux pas te réclamer de la gauche après. Quand tu dis aussi que tu vas permettre à tes députés de déposer des projets de loi pour rouvrir le débat sur l’avortement, je ne suis pas sûr que ce soit très progressiste ni féministe. 

Même sur l’environnement, il y a beaucoup de contradictions. Élizabeth May a dit qu’elle voulait mettre fin à toute importation de pétrole, en misant sur la diminution de la consommation nationale. Elle a ouvert la porte à une augmentation de la production de pétrole en Alberta si c’était nécessaire pour atteindre cet objectif. Pourtant, c’est le pétrole le plus polluant au monde, de trois à cinq fois plus que les barils qui arrivent du Venezuela ou de l’Algérie. Là, cette semaine, ils ont complètement changé d’idée et ils nous ont annoncé qu’ils allaient mettre fin à toute production de pétrole en 2030 ! Si on arrêtait l’industrie en claquant des doigts de cette façon, ça créerait 270 000 chômeurs en Alberta ; ce serait une crise sociale et économique majeure ! En fait, je ne sais plus lequel des deux partis verts il faut croire.

Je dirais que nous, au NPD, nous misons sur deux choses : la justice sociale et l’urgence climatique.

LD : De nombreux analystes estiment que le turban que porte Jagmeet Singh explique en partie les scores décevants annoncés pour le parti au Québec. Est-ce que cet impact est réel selon vous et qu’est-ce qui pourrait l’expliquer ?

AB : Historiquement, nous avons eu au Québec un grand mouvement d’émancipation face à l’Église catholique au Québec avec la Révolution tranquille. Je pense que les gens de cette génération-là se disent qu’ils se sont débarrassés de l’Église et qu’ils ne veulent plus rien savoir de la religiosité, et du coup n’importe quel signe religieux est assimilé à ça. Il y a aussi des gens qui sont racistes, il n’y a qu’à aller voir les commentaires sur Facebook pour le constater.


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