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Entrevue avec Mario Beaulieu

Le Délit a rencontré Mario Beaulieu, député du Bloc Québécois sortant et candidat dans la Pointe-de‑l’île. Avant de se présenter pour le Bloc, il a été président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et du Mouvement Québec français. 

Équipe de campagne Mario Beaulieu

Le Délit (LD) : Le Bloc Québécois semble vouloir calquer les positions de la CAQ, est-ce cohérent dans le contexte où la CAQ n’est pas indépendantiste ?

Mario Beaulieu (MB): Absolument. Le Bloc Québécois est le seul parti politique fédéral qui défend les intérêts des Québécois de toutes origines et de toutes langues comme nation. Le Québec est le seul État francophone en Amérique du Nord, nous avons une culture, une façon de pensée distincte. S’il est vrai que le gouvernement actuel n’est pas indépendantiste, il est nationaliste. Quand on dit nationalisme, il ne faut pas le confondre avec celui des grandes puissances, qui est impérialiste et colonialiste, il faut le comparer aux autres nationalismes des peuples minoritaires, qui visent une équité entre les nations. 

LD : Comment est-ce que le Bloc perçoit les enjeux autochtones ?

MB : Le gouvernement sous René Lévesque a été le premier à considérer les peuples autochtones comme des nations. Ainsi, au Bloc, on pense qu’il faut négocier avec eux de nation à nation. Il faut changer la Loi sur les Indiens pour leur garantir une plus grande autonomie et favoriser le maintien de leurs langues. Sur ce dossier, il faut agir, pas seulement faire des excuses.

LD :  Avez-vous des politiques qui visent particulièrement les étudiants universitaires ?

MB : Nous souhaitons voir apparaître un financement plus équitable pour les universités francophones. 25% des ressources financières provinciales sont attribuées aux universités anglophones, et c’est près de 40% du côté du fédéral. Le taux de diplomation universitaire des francophones est de 10% moins élevé, alors ça prendrait des mesures pour rééquilibrer le financement des universités. Sinon, l’éducation est une compétence provinciale, donc on ne souhaite aucune intervention de la part du gouvernement fédéral, si ce n’est pour accorder du financement aux provinces.

LD : Que pensez-vous du déficit important généré par le gouvernement libéral sortant ?

MB : C’est sûr que le Bloc encourage le financement de programmes sociaux pour la création d’emplois et pour l’environnement, mais on aurait quand même souhaité que le gouvernement libéral respecte ses premiers engagements en termes de fiscalité.

LD : Comment avez-vous perçu l’abandon du projet de loi de la réforme du mode de scrutin ?

MB : Bien sûr, on a été déçus, mais on s’y attendait. Ils ont abandonné la réforme parce que ça ne faisait pas leur affaire, c’est caractéristique des libéraux.

LD : Quelles sont les positions en matière d’environnement du Bloc ?

MB : Il y a deux États au monde qui consomment majoritairement des énergies renouvelables : la Norvège et le Québec. Le Québec pourrait être un chef de file international dans la lutte contre les changements climatiques, parce que nous avons l’hydroélectricité. Au Bloc, on fait la promotion de la souveraineté environnementale, ce qui veut dire que le Québec devrait avoir le dernier mot en ce qui a trait à l’aménagement de son territoire et à la gestion de son énergie. Tout sauf nous passer un pipeline à travers notre territoire ! On est évidemment très déçus de la performance du gouvernement fédéral. Il continue de financer le pétrole bitumineux. Au Québec, on envoie 60 milliards de dollars en impôts au fédéral, on voudrait en utiliser davantage en électrification des transports et en recherche sur les énergies renouvelables. On considère que le Canada est un État pétrolier, et on déplore que chacun des partis pancanadiens ait une position ambiguë face au pétrole bitumineux, même le Parti vert de Mme May. On propose un plan de réduction systématique de notre dépendance au pétrole : il faut arrêter de subventionner les industries des énergies fossiles, il faut des cibles de réduction des GES (gaz à effet de serre, ndlr) conformes aux objectifs de Paris (Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques, ndlr) et des mécanismes de rendement de comptes afin de forcer les gouvernements à travailler envers lesdits objectifs. On propose aussi une fiscalité verte : une péréquation verte. Les provinces qui feraient le plus d’efforts en termes de réduction des GES se verraient attribuer une plus grande part des transferts fédéraux, selon le principe de pollueur-payeur.

LD : Quelle est la place du souverainisme au Québec en 2019, et quelle est la place du Bloc Québécois face à cet enjeu ?

MB : On travaille à ce que le français demeure la langue officielle et commune au Québec. La Loi sur les langues officielles (loi fédérale, ndlr) est fondée sur un modèle qui ne fonctionne pas. On en voit la preuve dans les provinces hors Québec où il y a un taux d’assimilation des francophones en constante augmentation, bien que le gouvernement fédéral trouve des moyens statistiques pour camoufler ce déclin. Même la Loi sur les langues officielles divise les francophones, car elle ne reconnaît pas le Québec comme faisant partie de la minorité francophone. D’ailleurs, les anglophones du Québec ont le même statut que les Acadiens ou les Franco-Ontariens, alors que ce sont des situations complètement différentes. Même l’ONU ne reconnaît pas les anglophones québécois comme une minorité, puisqu’ils appartiennent à la majorité canadienne anglophone. On se rappelle que la loi 101, basée sur des droits collectifs et territoriaux, a été défaite par cette même majorité. [Au Québec], tout l’argent du programme pour les langues officielles va entièrement du côté anglophone, c’est 75 millions de dollars par année. Si l’on calcule tous les programmes fédéraux, c’est 300 millions de dollars alors que la communauté anglophone est déjà financée par le gouvernement provincial. Au Québec, c’est le français qui est menacé, pas l’anglais. Si on regarde la loi 21, qui suscite une réaction viscérale du côté des Canadiens anglais, ça me rappelle la loi 101. Dans les deux cas, on les voit comme racistes, mais il n’y a rien de raciste à vouloir partager une langue commune : c’est ce qui nous a permis d’inclure de nouveaux arrivants et c’est ce qui a permis aux enfants de toutes origines de fréquenter les mêmes écoles.

LD : Comment est-ce que le Bloc se positionne par rapport à la loi 21 ?

MB : La loi 21 est tout à fait légitime et démocratique, on a commencé par appliquer la laïcité aux écoles catholiques et protestantes, on a déconfessionnalisé les écoles. À l’époque, ce n’était pas tout le monde qui s’en réjouissait. Aujourd’hui, c’est quand même environ 70% de la population québécoise qui appuie le projet de loi. On défend le droit du Québec de légiférer et d’adopter son modèle d’intégration et de laïcité contre toute intrusion du gouvernement fédéral.

LD : À quels gains le Québec peut-il aspirer à l’échelle fédérale dans les prochaines années ?

MB : Si le Bloc a la balance du pouvoir, nous allons être capables d’arrêter les projets de pipeline et de décider un peu plus de ce qui arrive avec l’argent envoyé à Ottawa. Dans mon comté, l’enjeu des transports collectifs est très important, mais pour réussir à relever ces défis-là, ça nous prend une part équitable du budget fédéral alloué aux infrastructures. On a le plus grand chantier naval du Canada, (le chantier Davie à Lévis, ndlr); sous les conservateurs, on a annoncé 100 milliards en investissements pour renouveler la flotte canadienne. Juste un peu avant les précédentes élections, on a annoncé le projet Asterix évalué à 700 millions de dollars. C’est bon, mais 700 millions sur 100 milliards… Après les élections, les libéraux ont tenté de retirer le contrat, mais seulement la Davie était équipée pour produire le navire dans les délais attendus. Depuis, assez peu pour le chantier Davie. On pensait que des contrats pour des brise-glaces canadiens iraient à Lévis, mais on a prolongé l’appel d’offre pour accommoder une compagnie ontarienne, donc ce n’est plus assuré. Bref, on devrait avoir beaucoup plus de contrats [au Québec] que l’on en reçoit. On veut pouvoir mieux gérer les revenus envoyés au fédéral afin de développer notre économie, et non pas seulement recevoir la péréquation, qui est en fait un prix citron parce qu’on ne reçoit pas assez d’investissements structurants au Québec.


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