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Itinérance : Pendant ce temps, que fait Montréal ?

Le plan en itinérance 2018–2020 de la ville de Montréal est ambitieux.

Alexis Fiocco

Le 7 mars 2018, Montréal dévoilait le Plan d’action montréalais en itinérance 2018–2020, un plan d’action à l’échelle de la Ville comportant les quatre axes d’intervention suivants : 1) Aménager une ville et des quartiers à échelle humaine ; 2) Favoriser la cohésion sociale et le vivre-ensemble ; 3) Soutenir la participation citoyenne et l’engagement social ; 4) S’engager dans un partenariat social et économique. En mot d’ouverture du rapport, la mairesse Plante invite tous les acteurs de ce plan à « faire preuve de solidarité et d’accueil auprès de celles et ceux qui sont les plus isolé·e·s au sein de notre collectivité ».

Pour son plan, la Ville de Montréal reprend la définition d’itinérance adoptée par le gouvernement du Québec en 2014 dans le cadre de la Politique nationale de lutte contre l’itinérance : « L’itinérance désigne un processus de désaffiliation sociale et une situation de rupture sociale qui se manifestent par la difficulté pour une personne d’avoir un domicile stable, sécuritaire, adéquat et salubre en raison de la faible disponibilité des logements ou de son incapacité à s’y maintenir et, à la fois, par la difficulté de maintenir des rapports fonctionnels, stables et sécuritaires dans la communauté. » 

Dans un entretien téléphonique avec Le Délit, Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance de la Ville de Montréal, explique qu’en plus des organismes, des personnes en situation d’itinérance ont été directement consultées puisqu’il s’agit de l’un des mandats du commissaire. 

L’ampleur de la situation

Malgré les importantes difficultés entourant le dénombrement des différents types d’itinérance (par exemple, l’itinérance cachée, c’est-à-dire les personnes hébergées temporairement chez d’autres ou dans un hôtel), le plan fait état, selon un recensement réalisé en 2015, de 3 016 personnes en situation d’itinérance visible à Montréal. 

En 2018, ce nombre s’élevait à 5 800 dans l’ensemble du Québec, avec une hausse de 8% sur le territoire de la métropole (3 149 personnes visibles dans la nuit du 24 avril 2018). En plus de dénombrer le nombre de personnes en situation d’itinérance visible, le rapport de 2018 visait également à « décrire le profil » de personnes en situation d’itinérance cachée, selon les résultats de 206 questionnaires. Par ailleurs, les personnes issues des Premières Nations, les Inuits ainsi que les Métis sont grandement surreprésentés dans la population itinérante de Montréal en formant au total 12% du total, mais ne formant que 0,6% de la population vivant sur l’île de Montréal. 

Le commissaire Lareault explique au Délit que l’administration municipale possède peu d’indicateurs pour suivre l’évolution de la population affectée par l’itinérance à Montréal et qu’elle s’aide du « ressenti des différents acteurs » et du taux d’occupation des refuges. Néanmoins, il confirme que l’on observe généralement une hausse du nombre de personnes en situation d’itinérance dans l’espace public, menant même à un « débordement » durant l’hiver 2018–2019 qui a mené la Ville à ouvrir une aile de l’ancien hôpital Royal-Victoria pour offrir un refuge temporaire supplémentaire. Il reconnait également que la méthode de dénombrement ponctuel est incomplète, mais soutient qu’elle offre tout de même des indices sur l’évolution de la situation. 

Par ailleurs, le Réseau d’aide pour les personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), un regroupement de 108 organismes œuvrant auprès des personnes en situation d’itinérance ou de précarité, est très critique des méthodes de dénombrement employées par la Ville de Montréal sur son territoire. En effet, le Réseau critiquait déjà en 2015 le caractère incomplet de l’échantillonnage, dont les données sont recueillies le temps d’un soir seulement.  « Un tel exercice de décompte s’inscrit dans un contexte où il est difficile d’avoir un chiffre crédible, d’abord parce qu’il n’est réalisé qu’à un moment spécifique de l’année. Tant des hommes, des femmes que des jeunes se retrouvent à la rue à différents moments de l’année, que ce soit de manière temporaire, cyclique ou chronique. », explique le RAPSIM sur son site Internet. 

La répartition géographique

La répartition géographique de l’itinérance n’est pas anodine du point de vue de l’accès aux ressources. Selon le RAPSIM en 2015, 43 % de l’itinérance serait concentrée dans l’arrondissement Ville-Marie, 30 % dans les arrondissements Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, le Plateau-Mont-Royal et le Sud-Ouest et 23 % dans Rosemont-La-Petite-Patrie, Verdun, Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce et Westmount.  Pour ce qui est des ressources allouées, le commissaire Lareault explique que la majorité de la centaine d’organismes sur l’île de Montréal est concentrée dans le secteur du centre-ville et des alentours. Toutefois, il indique que, comme c’est le cas pour plusieurs autres grandes villes nord-américaines, le phénomène d’itinérance visible a de plus en plus tendance à s’étendre à l’ensemble du territoire. 

Quelle forme d’accessibilité ?

Si le Plan de la Ville de Montréal établit comme l’un des principes directeurs « l’accessibilité […] à ses installations, services et activités, tant sur le plan géographique, économique et physique que celui du temps et de l’information », comment conjuguer ce principe avec la réalité des personnes en situation d’itinérance chassées de lieux publics pour cause de mendicité ou de flânage ?

Pour Serge Lareault, l’« accessibilité » au sens du rapport doit être comprise comme étant l’accès à des services adaptés pour toutes les branches de la population, citant notamment l’unité de débordement de Royal-Victoria où du personnel soignant était déployé en renfort. Relancé à ce sujet, le commissaire Lareault précise que l’accessibilité aux services et l’accessibilité aux espaces publics n’est « pas nécessairement » traitée de manière séparée, et que « la Ville fait tout ce qu’elle peut pour rendre les espaces accessibles ». À titre d’exemple, il nomme les équipes communautaires de soutien dans l’espace public et les travailleurs de proximité. De plus, il cite les exemples de la place Émilie-Gamelin et du Square Cabot, lieux connus comme étant hautement fréquentés par les personnes en situation d’itinérance, qui ont été réaménagés afin de favoriser le « vivre-ensemble ».

Se renvoyer la balle

Si le plan de lutte à l’itinérance met énormément l’accent sur une « approche globale » des services, encore faudrait-il que les différents paliers de gouvernement sachent se parler entre eux, effort qui apparaît réalisable pour autant que l’Instance stratégique de Montréal (formé par le ministère de la Santé et des Services sociaux, le CIUSSS du centre-sud et la Ville de Montréal) veuille bien saisir les situations qui maintiennent les individus en situation d’itinérance.

En effet, par exemple, questionné sur le problème de la judiciarisation et des casiers criminels des personnes en situation d’itinérance retardant leur réintégration sociale, le commissaire Lereault explique que la Ville de Montréal possède les données reliées aux causes municipales, mais que d’autres dossiers existent aux différents paliers de gouvernement (provincial et fédéral) et que les données statistiques quant à l’ampleur du phénomène « ne relèvent pas du ressort » de la Ville de Montréal.

À cet égard, le cas de Charles (voir p. 7–8), ancien détenu fédéral sans cartes d’identité pendant un an, est frappant. Le nombre des cas semblables au sein est inconnu, mais qu’une telle possibilité administrative puisse maintenir ne serait-ce qu’un Montréalais dans les rues semble difficilement réconciliable avec la volonté d’exercer une approche holistique quant à l’itinérance.

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