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Le désinvestissement : qu’en-est-il ?

Le Délit s’entretient avec Gregory Mikkelson, professeur à l’École d’environnement.

Iyad Kaghad | Le Délit

Le Délit (LD) : Pourriez-vous me résumer ce qu’est le désinvestissement comme mouvement ?

Professeur Mikkelson (GM) : En général, je dirais que c’est une réponse au constat que nous devons laisser la grande majorité des carburants fossiles dans la terre. Les gouvernements ne prennent pas les actions requises pour s’assurer de cela, alors il s’agit de faire pression, ce que le désinvestissement a toujours fait avec succès. Plus tôt au cours de cette décennie, un mouvement visant à ce que les universités et autres institutions publiques désinvestissent [leurs fonds de dotation des compagnies de carburants fossiles, ndlr] a vu le jour. La première université à désinvestir était Unity College, en 2012. C’est aussi l’année où Divest McGill a débuté son activité ici sur le campus, et nous voici encore en 2019, essayant toujours de faire en sorte que ça se poursuive. 

LD : Certains disent que le désinvestissement n’a aucun effet financier significatif : est-ce que c’est vrai ? Quels sont ses effets ?

GM : Les études démontrent que le désinvestissement a un énorme effet politique, ce qui, par la suite et indirectement, affecte les compagnies impliquées. C’est une méprise fondamentale et, je crois, parfois intentionnelle, de croire que les partisans du désinvestissement sont assez naïfs pour penser que si McGill désinvestit de Suncor, [une pétrolière majeure, ndlr] Suncor fera faillite. Ce n’est pas le but du désinvestissement, l’intention est plutôt politique.

LD : Quel est, selon vous, le rôle qu’a à jouer le désinvestissement au sein du mouvement de justice climatique en général ?

GM : Un rôle très important. Évidemment, plusieurs sortes d’actions, surtout politiques, sont nécessaires, mais le désinvestissement en est une partie importante.

LD : Quelle est la situation concernant le désinvestissement à McGill ?

Le Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale a pris treize mois pour fournir un rapport qui aurait échoué comme projet de recherche de premier cycle dans cette université.

GM : Au cours des années, depuis que les étudiants ont commencé [Divest McGill] en 2012, il a été démontré que le désinvestissement a largement gagné le soutien des étudiants, de premier et de second cycle, du personnel enseignant, représentés par le McGill Association of University Teachers, et d’au moins un des syndicats représentant la plus grande portion de personnel du campus – Munaca [un syndicat du personnel non-académique, ndlr] ayant exprimé son soutien en 2016. Enfin, l’entité la plus représentative de toutes les communautés mcgilloises du campus, le Sénat, a passé, avec une majorité écrasante, en septembre de l’an dernier, une résolution réclamant le désinvestissement du fonds de dotation de toute compagnie d’hydrocarbures.

Il y a eu de nombreux moments enthousiasmants durant les  six dernières années, mais en bref, voilà : la communauté mcgilloise a explicitement démontré être en faveur du désinvestissement. Pourtant, les personnes possédant  le pouvoir, ceux qui siègent au Conseil des gouverneurs – dont la majorité ne travaillent pas et n’étudient pas ici – ne  suivent toujours pas. Ils l’ont renvoyée [la proposition de désinvestissement, ndlr] au Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale [CCCQRS, CAMSR en anglais, ndlr], le même comité du Conseil des gouverneurs ayant examiné la question les deux dernières fois que Divest McGill a présenté des expressions d’inquiétude. Dans les deux cas, ils ont répondu de façon complètement inappropriée. C’est complètement inacceptable, dans une université reconnue au niveau international, de répondre de cette façon irresponsable au niveau académique. [Le Conseil des gouverneurs] l’a maintenant renvoyée au même comité, qui est en ce moment présidé par une personne ayant longtemps été cadre de Petro-Canada, compagnie qui est en ce moment une filiale de Suncor, qui est la compagnie de carburants fossiles la plus importante dans les investissements de McGill. 

Le CCCQRS a indiqué qu’ils vont publier un rapport et une recommandation dans la prochaine année académique. Donc nous avons eu la résolution du Sénat au début de cette année académique et ils ne peuvent même pas fournir une recommandation avant la prochaine année académique. C’est précisément ce qu’ils ont fait la dernière fois : ils ont pris treize mois pour fournir un rapport qui aurait échoué comme projet de recherche de premier cycle dans cette université.

LD : Qu’impliquerait une résolution du Conseil de gouverneurs pour l’Université ? Quelles seraient les prochaines étapes ?

Alors nous sommes déjà en train de laisser tomber des actions de carburants fossiles plutôt fréquemment, il faudrait juste ne plus les remplacer.

GM : Je crois que les prochaines étapes seraient assez simples. À chaque fois que l’Université abandonnerait un investissement dans une compagnie de carburants fossiles – ce qui se produit assez fréquemment – il s’agirait de ne pas le replacer par un autre investissement dans une compagnie de carburants fossiles. 

L’Université publie maintenant une liste de tous ses investissements directs – il y en a un peu plus que 650 – et j’ai consulté les deux plus récentes, datées du 31 mars 2018 et du 30 septembre 2018, et entre ces deux dates, McGill a abandonné six de 29 investissements fossiles. Alors nous sommes déjà en train de laisser tomber des actions de carburants fossiles plutôt fréquemment, il faudrait juste ne plus les remplacer. Dans ce cas, McGill en a ajouté trois, donc il y a eu une diminution nette de trois, et nous sommes rendus à 26. Tout ce qu’impliquerait le désinvestissement, ce serait de ne plus les remplacer. Donc nous serions à 23, puis au bout des prochains six mois, nous aurions laissé tomber  cinq ou six actions de plus. Alors il me semble que ce serait très simple.

LD : Est-ce que le désinvestissement présenterait un risque financier pour McGill ?

GM : Tout présente des risques financiers, personne ne peut prédire l’avenir. Toutefois, l’information que nous possédons indique que le désinvestissement, le cas échéant, présente plutôt des bénéfices financiers. Une étude publiée il y a quelques années dans Corporate Knights démontre que si McGill avait désinvesti ses fonds lorsque les étudiants l’ont réclamé pour la première fois, ils auraient fait 40 millions de dollars de plus de profit. Une autre étude publiée l’an dernier dans le journal Ecological Economics a étudié un cadre temporel beaucoup plus long et démontré que durant le dernier siècle, un portfolio contenant des carburants fossiles aurait produit ni un meilleur ni un pire profit qu’un portfolio entièrement sans carburants fossiles. Donc selon les études qui ont été faites, il n’y a aucun risque plus élevé de désinvestir, et le cas échéant, c’est un plus grand risque de garder ses investissements de carburants fossiles.

 

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