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Fratricides ?

Élections provinciales québécoise 2018 : Le Délit analyse la campagne.

Béatrice Malleret | Le Délit

Au moment où cette chronique est écrite, les résultats des élections ne sont pas encore connus, mais il est certain que le conflit électoral entre le Parti québécois (PQ) et ses deux frères ennemis, la Coalition Avenir Québec (CAQ) à droite et Québec solidaire (QS) à gauche, aura des répercussions visibles sur l’avenir du PQ.

Les analystes parlent souvent de la « zone payante », ce seuil autour de 25% des voix où les gains dans le vote populaire commencent à se traduire en victoires dans les circonscriptions. En ce qui concerne le Parti québécois, les sondages au fil de la campagne laissaient présager un résultat de plusieurs points de pourcentage en dessous de ce seuil, ce qui annonçait la perte de la majorité de ses sièges. 

Pour qu’une circonscription soit obtenue par un parti avec si peu de voix, il faut que la situation soit significativement différente dans cette circonscription qu’au niveau national. L’électorat du PQ est historiquement francophone et progressiste ; et est réparti sur la plupart des 125 circonscriptions, rendant le Parti québécois particulièrement sensible aux aléas des sondages. 

Québec solidaire, au contraire, tire très bien son épingle du jeu même s’il obtient un plus petit pourcentage des voix : son électorat est très concentré dans quelques circonscriptions urbaines, diplômées et multiculturelles. Cela fait en sorte que même avec un électorat relativement faible au niveau provincial, il peut espérer remporter des victoires dans ses quelques circonscriptions où son vote est concentré. La CAQ, de son côté, semble n’avoir d’yeux et d’oreilles que pour l’électorat francophone des régions et des banlieues, chez qui elle obtient de très bons scores. Ces deux derniers font assez peu d’efforts pour percer ailleurs que dans leurs bastions respectifs.

Le PQ entre deux chaises

Le PQ, lui, fait l’équilibriste pour tenter de réconcilier les deux franges classiques de son électorat, mais c’est un exercice difficile. Quand il joue la carte du progressisme, il perd des votes chez les nationalistes surtout identitaires, qui sont nombreux dans les circonscriptions des régions et des banlieues. Quand il flirte avec l’identitaire, il perd de la crédibilité chez les nationalistes surtout progressistes des circonscriptions urbaines. Jean-François Lisée a fait les frais de ce déchirement. Il a remporté sa course à la chefferie en prenant des positions qui plaisaient surtout aux nationalistes plus identitaires du Parti québécois, par exemple en critiquant le multiculturalisme ou en appelant à une plus grande protection de la langue française. Beaucoup de progressistes indignés ont quitté le navire et le PQ a baissé dans les sondages. Puis, depuis environ un an, il semble avoir complètement abandonné cette stratégie au profit de propositions pragmatiques et résolument sociales-démocrates. Pourtant, malgré ce virage complet qui en a étonné plusieurs, il n’a pas vraiment réussi à empiéter sur QS comme il l’espérait. Il était peut-être déjà trop tard : quand on leur parle du programme de gauche du Parti québécois, les progressistes se souviennent de la Charte des valeurs et des commentaires de Lisée sur la burqa, et hésitent à lui donner leur vote. De surcroît, le PQ a perdu l’appui des nationalistes plus à droite et tentés par les idées de la CAQ.

Lorsque l’option indépendantiste était encore populaire chez les francophones, le Parti québécois pouvait l’utiliser pour réussir à aller chercher ces deux groupes en même temps. Maintenant que les indépendantistes ne sont plus assez nombreux et trop divisés entre plusieurs partis pour former un gouvernement, il n’est plus possible pour le PQ de compter seulement sur la promotion de l’indépendance.

Mais en évacuant complètement l’indépendance de la campagne, le parti a remis en question le seul enjeu qui réussissait à rassembler tous ses électeurs, à droite comme à gauche. Maintenant, la CAQ et QS ont le champ libre pour devenir populaires auprès de l’électorat sérieusement désabusé du Parti québécois.


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