Aller au contenu

Les Franco-Ontariens et le Québec

Chaque semaine, Le Délit analyse un aspect de la politique québécoise

Béatrice Malleret | Le Délit

C’est dans une toute petite phrase de son énoncé économique que le gouvernement conservateur de l’Ontario a annulé le projet d’université francophone pour la province. Pourtant, on a assisté, dans les derniers jours, à une mobilisation sans précédent chez les intellectuels québécois. Évidemment, les conséquences politiques de cette décision risquent d’être très perceptibles à long terme.

Pour faire des économies, le premier ministre de l’Ontario Doug Ford a décidé de couper dans le projet d’université francophone mis en place par sa prédécesseure libérale, Kathleen Wynne. Il brise ainsi la promesse faite en campagne que le projet allait continuer sous un gouvernement conservateur. Par ailleurs, le premier ministre avait décidé d’abolir le Commissariat aux services en français, un organisme indépendant destiné à surveiller l’application des lois sur le bilinguisme dans la province. Il est depuis partiellement revenu sur cette décision, mais a maintenu le cap sur l’annulation du projet d’université francophone.

L’électorat ontarien

Au niveau domestique, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, n’a probablement rien à craindre. D’abord, les prochaines élections n’auront lieu que dans quatre ans ; il a largement le temps, s’il se tient tranquille, de faire oublier cette décision. Déjà, la nouvelle est passée presque inaperçue dans la plupart des journaux ontariens, contrairement aux journaux québécois où elle a été largement relayée. D’autre part, Doug Ford n’est que très peu redevable aux francophones pour son élection. La plupart des circonscriptions à majorité francophone, situées dans le nord de l’Ontario et près d’Ottawa, ont voté avec une solide majorité pour le Nouveau parti démocratique de l’Ontario. Une baisse des intentions de vote chez les conservateurs n’affecterait donc que très peu la majorité parlementaire de M. Ford. En fait, une seule députée conservatrice est issue d’une circonscription à forte population francophone. Amanda Simard, de la région d’Ottawa, a été la seule députée à s’opposer aux mesures de son chef.

La décision risque de plaire à la base conservatrice de M. Ford. Plusieurs commentateurs dénonçaient en particulier la grande quantité de dépenses liées au projet : l’université francophone aurait coûté près de 83,5 millions de dollars pour une cohorte initiale de seulement 200 étudiants. De plus, le campus aurait été situé à Toronto, loin, selon les détracteurs du projet, des véritables besoins des francophones de l’Ontario. Par ailleurs, plusieurs chroniqueurs conservateurs ont ces derniers jours exprimé leur frustration de voir que les Franco-Ontariens recevaient beaucoup de privilèges en raison de leur grande influence lors d’élections.

Des répercussions pancanadiennes

Au plan fédéral, par contre, les mesures de Doug Ford risquent d’avoir un impact sur les élections de 2019, en particulier au Québec, où l’affaire a fait beaucoup de bruit. Au début de l’année, les troupes d’Andrew Scheer avaient montré leur intention de séduire les électeurs souverainistes déçus du Bloc Québécois. Lors d’un congrès tenu à Québec en ils avaient fait miroiter plus d’autonomie pour le gouvernement provincial et avaient réussi à recruter quelques anciens indépendantistes. Même Michel Gauthier, qui a été le deuxième chef du Bloc après sa fondation, s’était joint aux rangs conservateurs.

Évidemment, pour les souverainistes, l’affront de Doug Ford aux francophones de l’Ontario représentera une attaque de choix contre les conservateurs. Même si M. Scheer n’est évidemment pas responsable des coupes budgétaires de l’Ontario, il risque fort de rester associé à cette affaire. Presque tous les membres francophones du gouvernement de Justin Trudeau ont publié des messages dans lesquels ils associent M. Scheer à ce qui se passe en Ontario. Par ailleurs, M. Scheer ne peut pas vraiment attaquer Doug Ford sur ce front : l’appui des conservateurs de l’Ontario risquerait de lui échapper. Tout au plus a‑t-il affirmé, sous les salves libérales, qu’il n’appuyait pas la décision de Doug Ford et qu’il appuyait les francophones de l’Ontario.

Les coupes budgétaires de Doug Ford ne risquent pas d’affecter beaucoup les politiques de sa province. Par contre, elles risquent fort de garantir que les conservateurs fédéraux ne perceront au Québec.


Articles en lien