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Fuocoammare, entre deux eaux

Ou comment aborder le documentaire de Gianfranco Rosi, premier tour de force des RIDM.

Eyesteel

Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) reviennent à Montréal jusqu’au 20 novembre, pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Avec près de cent films présentés, les RIDM nous font voyager de Jérusalem à Lampedusa, de Paris à Montréal. Disséminée entre plusieurs cinémas du centre de Montréal, la programmation originale et éclectique de 2016 promet d’offrir aux spectateurs un nouveau regard sur le monde.


Le plus grand malheur du journaliste culturel est que plus un film est réussi, plus il est difficile de lui rendre justice avec des mots. Pour nous faciliter la tâche, il faudrait garder à l’esprit que, de même que des images filmées ne représentent qu’un infime faisceau de la réalité, un article du Délit  ne reflète hélas qu’un grain de ce qu’il cherche à exprimer. Au lecteur, donc, à travers la force de son imagination, de mettre en relief ce qui est lu, de rendre aux idées la totalité de leur dimension.

Lors de sa toute première présentation aux RIDM de Montréal, le 10 Novembre 2016, les images capturées par le réalisateur italien Gianfranco Rosi sont parvenues à émouvoir et faire rire de façon presque équitable. Le sujet : la crise des réfugiés. Peut-être la plus grande tragédie qui a frappé l’Europe depuis l’Holocauste, pour reprendre les mots du cinéaste, lors d’une conférence de presse après avoir reçu l’Ours d’or à Berlin. Le caractère pressant de ce qui est rarement compris autrement que comme un « sujet d’actualité » est bel et bien une réalité qui ne s’arrête pas lorsque l’on ferme son journal. Et pourtant, les bêtises de Samuele, un petit garçon que l’on suit tout au long du film, adoucissent le drame tout en questionnant la responsabilité de chacun de nous.

Prise en triangle entre Malte, la Sicile et la Tunisie, l’île de Lampedusa est devenue une plaque tournante de la crise migratoire mais n’en possède pas moins d’habitants sédentaires, qui vivent de la pêche et naviguent ses eaux alentour depuis des générations. La famille de Samuele n’échappe pas à ce quotidien. Près d’une fenêtre, le jeune garçon écoute distraitement sa grand-mère lui conter son expérience en temps de guerre. À son âge, il se préoccupe surtout de la fabrication de son lance pierre qui transformera un champ de cactus en terrain de jeu. 

La ronde des nomades

Petit à petit, une alternance plus prononcée se crée entre ces plans d’Italiens et ceux de « voyageurs forcés » que l’on voit non seulement en mer, armés de leurs couvertures de survie mais aussi à terre. Lentement, ils apprennent à faire face à cette expérience, certains chantent, prient ou même jouent au football au sein de cette perte de repères unanime. On passe d’un bord à l’autre sans transition, Samuele simule une maladie chez le docteur tandis que des rescapés évacuent une embarcation fragile et que les troupes de sauvetage répondent aux appels, tentent d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Ce qui est particulièrement troublant dans  Fuocoammare, c’est que les réfugiés et les habitants de l’île semblent placés au même niveau, il n’existe pas de hiérarchie entre les soucis de l’un et ceux de l’autre. Pourtant, l’un a peut-être traversé la Libye avant de fuir l’Etat Islamique, puis passé parfois six ans en prison – comme le chante un des réfugiés au cours du film – mais cela ne change rien à la façon qu’a Samuele de manger bruyamment ses spaghettis ou de bâcler ses devoirs d’anglais. Les images de Gianfranco Rosi miment l’impasse que représente ce fléau humanitaire. Un dialogue de sourds, deux extrêmes qui ne semblent pas se voir et entre les deux : la difficulté que traverse ceux qui se risquent à tendre la main. 


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