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« Il faut obtenir le gel des investissements »

Désinvestissons McGill (Divest McGill, ndlr) tient du 21 au 25 septembre une semaine sans énergie fossile afin de promouvoir la justice climatique. Plusieurs événements sont organisés dont différentes discussions et un rassemblement lors du débat des chefs. Le Délit les a rencontrés pour l’occasion.

Zaliqa Rosli

Le Délit (LD): D’abord, pour un lecteur qui vous connaît mal, voire pas du tout, pouvez-vous expliquer en bref le but de votre organisation ?

Désinvestissons McGill (DM): Désinvestissons McGill a été lancé il y a environ trois ans. L’idée, c’est de demander à l’administration de l’université McGill de retirer ses investissements des énergies fossiles. L’université a une dotation d’environ 1,3 milliard de dollars et, là-dessus, environ 70 millions sont investis dans les énergies fossiles. Si on fait une telle demande, c’est parce que les entreprises qui exploitent les énergies fossiles violent les droits de l’Homme et détruisent l’environnement. En investissant dans ces entreprises, l’université continue de promouvoir un système qui n’est pas durable. Donc, l’idée d’une campagne de désinvestissement, c’est de stigmatiser les entreprises d’énergies fossiles en ayant des institutions comme les universités qui désinvestissent.

« Les entreprises qui exploitent les énergies fossiles violent les droits de l’Homme et détruisent l’environnement. »

LD : Sur les trois ans de votre existence, quelles ont été les démarches entreprises et surtout, leurs résultats ? 

DM : Il y a trois ans, on a présenté une pétition à l’administration de l’université qui demandait un désinvestissement sous motif d’atteinte aux droits de l’homme. Pourtant, la pétition fut refusée parce que le Comité de conseil en matière de responsabilité sociale (CAMSR, Committee to Advise on matters of Social Responsability) a jugé que les preuves étaient insuffisantes alors que les preuves sont accablantes dans le monde entier.

L’année suivante, au lieu de présenter à nouveau une pétition avec le même genre de demande, on a décidé de pousser l’administration (CAMSR) à intégrer les atteintes à l’environnement au domaine des responsabilités sociales plutôt que comme une atteinte aux droits de l’homme. L’opération fut un succès.

L’année dernière, ensuite, on a refait une pétition avec plus de 1 400 signatures, on a réuni plus de cent professeurs de l’université qui ont signé une lettre appuyant notre pétition en plus de présenter au conseil un dossier de recherche de plus de 150 pages contenant un bon nombre de preuves concernant ces violations des droits de l’Homme et atteintes à l’environnement. Ils ont donc étudié la pétition et nous ont demandé de leur faire une présentation en avril dernier. On leur a ensuite donné une date limite de six mois pour prendre une décision concrète sur le désinvestissement. Ils nous ont reçus en mai dernier pour qu’on réponde à leurs questions. Ensuite, ils ont voulu demander à la Société Royale du Canada de leur fournir une deuxième recherche sur le sujet, ce qui aurait pu rallonger le délai de 6 mois ou 1 an et demi, mais avec l’aide des professeurs leur initiative fut abandonnée.

Il y a une semaine, on a envoyé une lettre au conseil d’administration pour leur demander de geler tous les nouveaux investissements dans les énergies fossiles pendant les négociations et pendant les délibérations sur la question du désinvestissement.

LD : Le lundi 21 septembre débutera votre semaine sans énergies fossiles (Fossil Free Week), quels en sont les objectifs ?

DM : L’objectif final de la semaine c’est d’obtenir le gel des investissements. C’est pour cela qu’on a envoyé notre lettre. Maintenant, l’objectif plus global c’est vraiment de provoquer une prise de conscience dans la communauté. À cet effet, nous organiserons, avec l’aide de professeurs notamment, plusieurs conférences pour expliquer la situation, mais aussi éduquer les McGillois sur les questions d’environnement. D’un autre côté, on veut aussi montrer le soutien de la communauté toute entière pour cette cause. On essaie réellement de réunir, non seulement les étudiants, les professeurs et les employés du campus, mais on invite aussi toute la communauté montréalaise. Tout le monde est bienvenu pour soutenir la cause. On veut également démontrer que les campagnes de désinvestissement, c’est quelque chose de mondial. Présentement, il existe plus de 1 200 campagnes dans le monde et plusieurs d’entre elles ont déjà réussi. Plus de 200 institutions ont déjà désinvesti ; on ne peut même pas donner de nombre exact parce que ça augmente constamment. Par exemple, la fondation Rockefellers’est désinvesti du charbon tout comme le fonds de pension de la Norvège. Aussi, plusieurs institutions soutiennent le désinvestissement comme les Nations-Unies. Plus il y a d’institutions qui désinvestissent, plus il y a de données économiques utilisables pour les campagnes qui se poursuivent encore.

« On essaie réellement de réunir, non seulement les étudiants, les professeurs et les employés de campus, mais on invite aussi toute la communauté montréalaise. »

LD : Si jamais, dans un avenir proche, le désinvestissement réussit à l’université, qu’arrivera-t-il à votre groupe ?

DM : Si on arrive à notre but, qui est quand même le désinvestissement total des énergies fossiles… il y aurait une célébration, c’est certain. Après, je pense que Désinvestissons McGill a assimilé quand même beaucoup d’expérience. On pourrait aider d’autres campagnes de désinvestissement, il y en a plusieurs autres au Canada et dans le monde entier. On pourrait également se pencher sur la question des investissements.

LD : Que suggérez-vous à McGill en terme d’alternatives aux industries pétrolières ?

DM : On n’a pas d’alternatives. Déjà, ça nous a pris trois ans pour obtenir des délibérations sur le désinvestissement. On ne veut pas en plus leur demander d’investir dans des compagnies très ciblées. Évidemment, on leur conseille d’investir cet argent dans des compagnies socialement responsables et des énergies renouvelables fondamentalement bonnes pour la société. Dans notre mandat, on essaie aussi d’éviter cet aspect économique parce que McGill emploie des investisseurs professionnels pour faire leurs placements et que en tant qu’étudiants, ils ne nous considéreraient pas sérieusement. Ceci dit, en août dernier, on a rencontré l’administration justement sur ces questions économiques. On s’est donc penché sur les rapports d’instances plus professionnelles. Ainsi, un rapport de la HSBC (4e plus grosse banque du monde, ndlr) affirme que l’exploitation des sables bitumineux n’est plus rentable aujourd’hui, pas plus que l’exploitation du pétrole en Arctique. Ainsi, les arguments économiques, il y en a beaucoup, non seulement quant à l’effet du désinvestissement sur les institutions elles-mêmes mais aussi les bienfaits de désinvestir parce que depuis cinq ans on est en crise des énergies fossiles. Par contre, le CAMSR, à qui on a présenté la pétition, n’est pas sensé se baser sur des éléments économiques. Son mandat est de conseiller sur les questions de responsabilités sociales uniquement.

LD : Vous êtes ici dans le bureau du Délit, vous vous adressez à nous en français. Quel est l’intérêt pour vous de tenir une semaine d’activisme bilingue ?

DM : Bien entendu, le campus est majoritairement anglophone, mais on croit qu’il est important de relier le campus à la communauté de Montréal concernant cette question de justice climatique et sociale qui touche tout le monde. Si l’université McGill désinvestit, c’est quand même un gros plus pour tout le Québec et le Canada. Aussi, en avril dernier, on est allé à Harvard dans le cadre d’une semaine similaire et on ne s’attendait pas à voir autant d’individus hors campus. Des gens qui venaient de Boston ou des alentours pour soutenir la cause, des personnes âgées, des adultes, des parents avec leurs enfants. C’était vraiment extraordinaire ! C’est donc ça qu’on veut promouvoir ici aussi. D’autant plus que Montréal est une ville très active en matière d’activisme et de justice sociale, économique, climatique, etc. On essaye donc de contacter des groupes hors campus qui ne sont pas du tout étudiant, comme Justice Climatique Montréal ou Greenpeace. On a aussi contacté tous les cégeps. On ne sait pas s’ils vont venir, mais ils sont invités.


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