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Richard n’est pas celui qu’on croit

Introspection sur les rouages de la création théâtrale.

Marc-André Goulet

C’est dans le décor épuré d’une salle de répétitions que le Théâtre des Quat’ Sous a accueilli la dernière pièce d’Angela Konrad, Auditions ou Me, Myself and I. Ce format inhabituel, ne pouvant accueillir que cinquante personnes, était cependant parfaitement adapté à une pièce dont l’intrigue elle-même illustre les coulisses du monde du théâtre à travers une audition fictive de Richard III du vieux William Shakespeare. La petite salle crée une intimité singulière entre comédiens et spectateurs, ces derniers éprouvant autant d’émotions qu’il est possible d’en ressentir le temps d’une pièce d’une heure quarante-cinq.

En effet, on ne saurait caser Auditions ou Me, Myself and I dans des catégories aussi restreintes que la comédie ou la tragédie tant l’histoire bascule rapidement du désopilant au tragique, occasionnant tantôt la gêne, tantôt l’hilarité du public. Ce va-et-vient émotionnel est orchestré autour du personnage principal féminin Ricki, une metteure en scène tyrannique alternant entre la manipulation de ses acteurs, sa relation comique avec sa mère et la perte totale d’inhibition entre les auditions.

Ambitieuse, Ricki, dont le rôle est magistralement joué par Dominique Quesnel, souhaite créer une nouvelle adaptation de Richard III. Elle est déterminée à ne laisser personne, et surtout pas ses comédiens, corrompre son projet par une interprétation différente. L’intrigue est construite autour de l’intransigeance de Ricki, que la mère de cette dernière (jouée par Lise Roy) qualifie de mépris. « Les grands acteurs font rarement de grands humains », dit-elle en référence à Micky (Philippe Cousineau), venu pour l’audition du rôle de Richard III. Elle pousse ses acteurs jusqu’au bout, afin d’extraire d’eux leurs émotions les plus profondes et primitives, voire bestiales.

Demandant le maximum à ses comédiens, Ricki s’impose petit à petit comme le véritable tyran de la pièce, à l’instar du tristement célèbre duc de Gloucester, plutôt que l’inculte Micky, le fils prodigue du théâtre revenu après une carrière à la télé. Si des passants s’étaient attardés près du Théâtre des Quat’ Sous ce soir-là, ils auraient sûrement entendu sans les comprendre les cris des acteurs déchainés, désinhibés, sous les ordres dictés par Ricki, dont le besoin de manipulation frise la psychopathie tant elle semble incapable de sympathie. 

Puis, tout à coup, le rêve s’effondre : la pièce ne recevra pas de subventions, le nerf de la guerre pour cette création artistique. Alors, après avoir congédié – où fait fuir – les comédiens et son assistante, c’est la déchéance de la metteure en scène jusqu’alors survoltée, bouillonnante d’énergie et de passion. 

Le thème de la toute puissance de l’argent donne à la pièce un autre aspect, plus critique, qui évoque les difficultés financières chroniques auxquelles les metteurs en scène doivent faire face dans une industrie culturelle trop souvent éclipsée par le cinéma. Les personnages extravagants imaginés par Angela Konrad donnent cependant une certaine légèreté au ton général de la pièce, même si le monologue de fin de Dominique Quesnel laisse le spectateur repartir non sans une pensée affligée pour cette metteure en scène stoppée net dans son élan créatif, élan que la passion avait poussé à des tactiques de guerre psychologique. 


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