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City, ou raconter des histoires pour s’en sortir.

Lynn Poulin

C’est avec l’adaptation du roman City d’Alessandro Baricco que le théâtre Prospero ouvre sa programmation de la saison. Une pièce dans laquelle on témoigne de la vie de Gould (Paul Ahmarani), un enfant de 13 ans, génie de son époque, déjà élève dans une université prestigieuse et abandonné par ses parents. Il fera la rencontre de Shatzy (Geneviève Beaudet), une jeune femme pleine de rêves d’enfants, lorsqu’un soir il décide d’appeler le service d’assistance téléphonique d’une entreprise de sondage où elle travaille pour prévenir la standardiste qu’un dénommé Diesel (Gabriel Doré) et son ami Poomerang (Paul-Patrick Hébert) pourraient venir l’étrangler avec le fil du téléphone. Attention : ils ont l’air méchant, mais ils sont gentils ! Comprenant bien qu’il doit s’agir de deux personnages issus tout droit de l’imagination de l’enfant au bout du fil, la belle Shatzy décide de converser longuement avec cet être dont la créativité l’émeut.

Licenciée par son supérieur pour avoir été trop bavarde (Le temps, c’est de l’argent), Shatzy retrouvera Gould pour son goûter d’anniversaire au restaurant du coin, où cette nouvelle amitié prendra enfin forme. C’est là que Gould, qui faisait croire à son père que sa nourrice était muette pour expliquer l’absence d’une deuxième voix au téléphone, demande à Shatzy  de devenir sa nourrice.

 C’est un monde d’amour, d’amitié, de partage et de rire qui s’ouvre à ces deux nouveaux amis. Shatzy, l’adulte enfant et Gould, l’enfant adulte, sont pleins de rêve et d’imagination. Ils nous ouvrent les portes de leur monde pour nous raconter leurs fantasmes. Plusieurs niveaux de narration apparaissent alors. Nous sommes projetés dans un western mystérieux, histoire racontée par Shatzy, dont c’est le rêve de faire un western. Le temps s’est arrêté dans un village du Far Far West suite à une malédiction qui s’est abattue sur la région il y a 34 ans, 11 jours et 6 heures. Tout à coup Poomerang et Diesel deviennent de vielles sœurs qui passent leurs journées à tricoter en espérant que le temps leur revienne. En attendant, dans la salle de bain, ces deux personnages se transforment en champions de boxe internationaux qui jouent leur prochaine victoire dans la tête de Gould, assis sur les toilettes. Mais ce n’est pas toujours évident d’être Diesel qui, trop grand pour prendre le bus, la voiture, le train ou même l’avion ne peut pas partir à l’aventure comme il le voudrait. Et puis il n’y a pas que lui qui aimerait partir à la découverte du monde ! Diesel pourrait peut-être rentrer dans une roulotte ! Oui, une roulotte ferait l’affaire pour ce grand homme imaginaire et ces deux âmes errantes. Shatzy achète donc une roulotte. Une roulotte jaune, pourquoi pas.

Ces niveaux de narration enchevêtrés sont fidèles à l’œuvre de Baricco et témoignent de la nécessité chez les personnages de se raconter des histoires pour s’en sortir. En ressort une grande histoire de tendresse entre Gould et Shatzy,  chacun brisé à leur manière, qui trouvent dans leur relation un réconfort et un autre à qui se livrer dans toute leur vérité.

On applaudira Paul Ahmarani pour sa fabuleuse interprétation d’un petit gars pas comme les autres qui vit dans un monde bien à lui. Mention spéciale aux trois autres acteurs, le duo Gabriel Doré et Paul-Patrick Hébert qui font état de leur palette de jeu en interprétant de multiples personnages, enchaînant mimiques et gags burlesques ; sans oublier la ravissante Geneviève Beaudet qui habite la pièce par sa présence et sa générosité. Un spectacle splendide, comme dirait Shatzy. À aller voir absolument, jusqu’au 27 septembre !


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