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Si jeunesse savait

Jeune & Jolie est présentée en première québécoise au Cinéma Impérial.

Thomas Simonneau

Le scénario original est particulièrement créatif et audacieux. C’est l’histoire d’Isabelle (Marine Vacth), une adolescente de 17 ans, qui, à la suite de sa première relation sexuelle décevante lors d’une amourette d’été avec un jeune Allemand qu’elle ne reverra jamais, décide de se prostituer sous le pseudonyme de Léa. Chaque partie du film est présentée sous forme de saison, lesquelles ont chacunes pour thème une chanson de Françoise Hardy : « L’amour d’un garçon » (l’été), « À quoi ça sert ? » (l’automne), « Première rencontre » (l’hiver), « Je suis moi » (le printemps, le générique).

Ceux qui chercheront à comprendre les motivations d’Isabelle à se prostituer seront déçus. Le magnifique scénario, judicieusement écrit, ne donne aucun indice aux proches d’Isabelle, ni au psychologue de cette dernière, et encore moins aux spectateurs. François Ozon, le réalisateur, ne s’attarde pas à étudier le phénomène de la prostitution estudiantine, mais y fait plutôt allusion à quelques reprises. Dans un même ordre d’idée, il est important de mentionner que la prostitution n’est pas valorisée dans ce film. Certains clients d’Isabelle la traitent particulièrement mal. Il n’y a rien de joyeux, gratifiant ou même agréable à vendre son corps dans Jeune & Jolie.

Isabelle ne semble avoir aucune raison de se prostituer. Elle vient d’un milieu particulièrement aisé et fréquente le prestigieux lycée parisien Henri-IV. Elle n’a pas besoin de l’argent de ses passes. Sa relation avec son père est normale et « il n’y a rien à dire de plus à ce sujet ». Sa relation avec sa mère est un peu plus tendue et complexe et les raisons en restent toujours inconnues.

Ainsi, Jeune & Jolie, via une mise en scène maîtrisée et sublime, cherche à entretenir le mystère sur les motivations d’Isabelle en se concentrant plutôt sur la jeunesse et ses amours, d’où la présence de Françoise Hardy. Ses chansons reprennent l’essence de l’amour adolescent : « un amour malheureux et une désillusion romantique ».

Dans la poursuite de ce thème, il y a une référence importante au poème « Roman » d’Arthur Rimbaud : « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». À cet âge, on est insouciants et c’est la période des premiers amours : passionnels, parfois sans lendemain et douloureux. La présence de ce poème est ironique, considérant que la double vie d’Isabelle est tout ce qu’il y a de plus sérieuse et adulte, voire dangereuse, même si toutes ses « relations » sont passionnelles et sans lendemain.

Le film marque aussi les débuts de Marine Vacth dans un premier grand rôle au cinéma. L’actrice française de 22 ans est un mannequin qui a fait, entre autres, la campagne du parfum Parisienne d’Yves Saint-Laurent. Son interprétation est surprenante et rafraichissante. Vacth joue avec beaucoup de naturel et de fluidité. Elle entretient le mystère du personnage et garde cette impression de mélancolie chez Isabelle tout au long du film. Les scènes de sexe sont parfois crues et il est évident que son expérience de mannequinat la rend très à l’aise avec son corps, de sorte qu’elle peut tourner des scènes difficiles mais essentielles que certaines actrices refuseraient de tourner sans avoir recours à une doublure.

Toujours dans les interprétations, il importe de parler de la très brève apparition de Charlotte Rampling (superbe) dans un rôle qu’il est préférable de ne pas dévoiler, mais qui sera très important dans la conclusion du film.

Finalement, la bande originale, préparée par Philippe Rombi, mérite d’être mentionnée. En plus de Françoise Hardy, la B.O. est remplie de chansons qui reflètent la jeunesse d’aujourd’hui dans la musique électronique ou le rock alternatif, comme Vitalic, Crystal Castles et M83. Bien sûr, il ne faut pas oublier d’évoquer  le superbe thème composé par Philippe Rombi, qui présente un judicieux mélange de fraîcheur et de mélancolie.

Le film a été présenté au Festival de Cannes en mai dernier et a reçu un bel accueil, en particulier pour Marine Vacth. Il s’agissait par ailleurs du retour de François Ozon à Cannes, qui n’était pas allé sur la croisette depuis Swimming Pool (2003).

Somme toute, Jeune & Jolie est un superbe film sur la jeunesse et les premières amours. Il puise sa force dans un excellent scénario original et une magnifique mise en scène. La belle interprétation de Marine Vacth, qui est une véritable révélation, est complémentée par une bande originale soigneusement préparée par Philippe Rombi qui reflète parfaitement le groupe d’âge représenté.


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