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Filmer le temps qui passe

365 days project, l’œuvre du cinéaste Jonas Mekas, exposée au Centre Phi.

Camille Chabrol | Le Délit

Le Centre Phi, situé sur la rue Saint-Pierre, au cœur du Vieux-Montréal, accueille jusqu’au 26 octobre l’exposition de Jonas Mekas : « Éloge de l’ordinaire ». Il y présente son projet élaboré en 2007, année au cours de laquelle il a réalisé un court-métrage par jour. Il n’est pas ici question de fiction. Ses courts-métrages, longs d’une à vingt minutes, retracent des moments de vie quotidienne saisis caméra au poing par l’artiste.

Ces enregistrements sont dévoilés dans leur ordre chronologique sur douze écrans matérialisant chacun un mois de l’année. Il suffit qu’on s’attarde un peu dans la pièce rectangulaire où sont disposés canapés, télévisions et casques audio pour que s’installe doucement l’émotion chez le spectateur. En filmant un port et ses allées et venues, son chat, un repas entre amis ou même un bout de tapisserie à fleur, Jonas Mekas parvient à déployer et transmettre toute la poésie de l’existence. Le visiteur, s’il accepte de prendre le temps de s’imprégner des images et des sons diffusés, peut se rendre compte de la beauté, invisible au jour le jour, des détails de la vie.

Quand bien même l’auteur filme son propre quotidien, le caractère ordinaire des scènes déclenche chez chacun une prise de conscience. La véritable splendeur de notre existence sommeille dans ces tableaux souvent à peine remarqués : le vin rouge qui coule lentement dans notre verre, servi par la main affectueuse d’un ami, un groupe de danseurs croisés au hasard d’une rue lors d’une performance en plein-air;,la paire de pieds gonflés d’une grand-mère assise au bord de son lit. En somme, des fragments du quotidien auxquels on ne prête plus attention depuis longtemps, parce que les situations se sont trop souvent produites, qu’elles se sont déroulées trop vite, se sont effacées trop rapidement. Heureusement, ces moments ont été compilés et mis sous nos yeux par un vieil homme et sa caméra, désireux d’en souligner l’importance et la magie. La formule fonctionne. Ses vidéos ne sont pas de simples courts métrages dont on admire la valeur esthétique. Ce sont de réels poèmes animés qui révèlent les charmes de la vie dans ses instants les plus quelconques.

Cette sensibilité aux belles choses qui nous entourent est innée chez Jonas Mekas. Il explique au Délit, lors du vernissage de l’exposition, qu’il se considère comme un fermier qui se contente de cultiver instinctivement son potager avant d’en partager les récoltes. Cette méthode n’a pas échappé à la composition d’Éloge de l’ordinaire. Le créateur explique : « Un jour j’ai été suffisamment fou pour me lancer le défi de tenir un journal, en filmant tous les jours sans exception, et aujourd’hui mon œuvre est là ». Toutefois, lorsqu’en cette année 2007 Jonas Mekas s’empare quotidiennement de sa caméra, il ne pense pas à ce projet de 365 jours qu’il a initié. Il ne pense ni aux internautes qui pourront visionner ses clips presque instantanément sur son site, ni aux curieux qui iront voir ses films dans différents musées du monde. Il n’est réellement guidé que par son amour inconditionnel de la vie, des gens et des situations que ceux-ci produisent. Lorsqu’il est interrogé sur la source de ce goût inébranlable pour la vie, il répond qu’il n’a pas fait d’autre choix que celui de l’aimer dans son intégralité. Ceux pour qui ce n’est pas le cas ne l’intéressent d’ailleurs pas ; il estime que ce sont des idiots. Cette passion pour l’existence nous est rappelée lors de son bref discours d’inauguration au cours duquel il n’oublie pas de remercier la commissaire, mais qu’il clôt néanmoins par un remerciement étonnamment plus sincère au Mont-Royal. Jonas Mekas, à travers cette année de courts-métrage, nous présente un quotidien nous rappelant que l’infime peut être la source d’un art et d’une vision du monde.


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