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« Le » Black Bloc n’existe pas

« Tous les Black Blocs ne sont pas des anarchistes. »

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Le 22 mars, alors que plusieurs centaines d’étudiants, de parents, et de citoyens ont manifesté dans les rues de Montréal, il n’y a eu aucune arrestation. Beaucoup s’attendaient au pire étant donné la brutalité des récentes manifestations contre la hausse. On s’attendait à ce que le feu d’artifice lancé soit le signal du début des festivités orchestrées par les casseurs. Et que Line Beauchamp puisse dire, une fois de plus, qu’elle ne négociera pas avec des étudiants violents. On s’attendait « à la visite du Black Bloc ».

Victor Tangermann

« Le » Black Bloc n’existe pas
Le Black Bloc n’est pas un groupe, même informel, mais une tactique. Les médias ont, faute de mieux, adopté une grammaire qui peut parfois porter à confusion. Ce n’est pas « le » Black Bloc, mais bien certains individus qui ont en commun la nécessité de garder l’anonymat pour parfois effectuer des tactiques qui sont illégales. Cette pluralité de stratégies ne vise non pas à la violence gratuite mais à mettre la lumière sur la brutalité policière, protéger les autres manifestants et éveiller les consciences.

Une partie intégrante des objectifs de la tactique est de donner conscience aux manifestants de leur relation avec les forces de l’ordre. Marc*, qui a déjà employé ces tactiques dans certaines manifestations à Montréal, pense que de là aussi découle la raison d’être de la destruction matérielle : « On abîme la propriété privée et en réaction la police fait mal au gens. Comme ça les manifestants réalisent [que la police agit en toute impunité].»

Aucun des bloqueurs que Le Délit a eu en entrevue ne pense que le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) a besoin d’être provoqué pour réprimer les manifestants. Du moment que le trajet d’une manifestation est gardé secret, la manifestation peut être déclarée illégale. « La police est par nature brutale, ils n’ont pas besoin de nous pour les provoquer, c’est une évidence,» pense Hannah* qui utilise aussi fréquemment les tactiques Black Bloc.

Celles-ci répondent à celles des policiers. Lorsque le SPVM reste calme, ils s’organisent en bloc et font du grabuge, mais quand la police réplique, ils contribuent à la désescalade et appellent au calme. Ils essaient d’empêcher les arrestations en agrippant en groupe le manifestant visé.

Organisation
Il serait bien trop dangereux pour un individu de se montrer seul et de « bloquer » dans une manifestation sans avoir d’expérience, pense Roy.* Ce dernier et Hannah*, qui ont tous deux participé à plusieurs reprises dans des tactiques Black Bloc à Montréal, soulignent une certaine forme d’organisation entre groupes d’intérêts communs. Parfois sur des forums anonymes sur Internet, un « appel au bloc » est lancé. L’organisation reste tout de même hyper-décentralisée. Marc* dit s’être organisé au sein d’un groupe avant une manifestation et avoir rejoint un autre noyau qui se préparait à bloquer. Ce dernier leur a indiqué où se trouvait le principal contingent, qui se trouve généralement au milieu du cortège.

L’intégration se fait de manière progressive. Hannah* explique qu’elle était une habituée des manifestations et qu’à un moment elle a décidé d’employer cette stratégie. « La plupart des gens en entendent parler par des amis, ou ils ont observé les tactiques Black Bloc dans des manifestations. » Elle a participé à certaines manifestations, vêtue de noir, mains et visage couverts. Cela ne signifie cependant pas qu’elle ait à chaque fois fait de la casse. Hannah* fait également remarquer que les gens qui utilisent des tactiques Black Bloc prennent part à diverses autres actions sociales.

Identité dissimulée
Une chose est sûre, il est impossible de savoir qui ils sont, ni de les contacter. L’anonymat est la seule manière pour eux de se protéger de la police « pour pouvoir protéger les autres et renforcer les manifestations ». Le noir fait en sorte que leurs pièces de vêtements sont difficilement identifiables sur des enregistrements vidéo, sur des photos, ou même dans la rue lorsqu’ils sont portés dans d’autres contextes. Photographier un Black Bloc signifie le mettre en danger.

Roy* affirme que la police garde toujours une trace comme ils peuvent des « anarchistes ». « Si par exemple, je me fais prendre en photo, mes bottes sont reconnaissables et ce n’est pas quelque chose qui est facile à changer comme un t‑shirt. » Ceci explique parfois leur agressivité envers les photographes.

Le noir est aussi une façon pour les Black Blocs de se reconnaître entre eux, car ils agissent de concert une fois en bloc. Marc* note que les Black Blocs utilisent beaucoup le contact physique pour la coordination, ils évitent de trop parler, leur voix pouvant elles aussi être potentiellement identifiables.

Profilage
Cette particularité vitale pour les manifestants qui « bloquent » durant les manifestations mènent à ce que beaucoup identifient comme étant du profilage de la part du SPVM. Marc* a eu une expérience directe de profilage il y a quelques années lors d’une manifestation alors qu’il ne participait pas à des tactiques Black Bloc à Montréal. « Je marchais tranquillement vers la fin de la file et je jouais du tambour. J’étais vêtu de noir mais mon visage n’était pas couvert. Ensuite, une connaissance est venue me parler pendant à peine 45 secondes avant de partir par le métro. Il s’est ensuite fait arrêter par un policier qui lui a demandé comment il connaissait le Black Bloc. »

Hannah* pense être sur une liste de surveillance du fait de son engagement actif dans diverses causes sociales. « Le profilage ne se limite pas au Black Bloc. » Elle rappelle d’ailleurs l’existence de l’escouade GAMMA (qui relève de la division du crime organisé) qui depuis près d’un an surveille les mouvements des groupes « marginaux et anarchistes ».

Parfois, des manifestants ordinaires mettent à profit cette vulnérabilité pour empêcher les tactiques de casse. Ils vont par exemple essayer de tirer le masque ou le foulard cachant le visage des casseurs. Lors de la manifestation du 13 mars 2012, par exemple, un groupe de manifestants s’est assis sur la chaussée pour empêcher des gens de fracasser une voiture de police. « Ils veulent bien paraître pour les journaux », dit Hannah*, alors que pour le Black Bloc, comme le précise Marc*, « le but n’est pas de plaire aux médias de masse ni aux middle class homeowners. »

Le SPVM dans la mêlée
Les policiers infiltrés avec les Black Bloc dans les manifestations tentent parfois de semer la pagaille. Mais ils font rarement d’arrestations majeures sur le moment car n’importe quel geste suspect pourrait mener le bloc à essayer de les chasser ou à se disperser. Ils ne sont pas si faciles à repérer. Comme les Black Bloc développent des liens serrés de confiance, ils communiquent entre eux pour essayer de repérer les intrus lors des manifestations. Marc* rappelle qu’à la suite de l’incident qui a presque coûté son œil à un manifestant, le 7 mars, des Black Bloc ont essayé dans la soirée d’aller détruire les portes des quartiers généraux du SPVM. Au sein du petit groupe, « deux hommes costauds habillés en noir ont empêché deux autres Black Bloc de briser la porte. » Le lendemain, deux arrestations avaient été effectués : celles des individus qui avaient tenté la casse au SPVM la veille.

Le SPVM n’a pas répondu aux multiples demandes d’entrevues du Délit.

Sous l’aile des étudiants ?
Lors de la plus grosse manifestation nationale étudiante le 22 mars, il n’y eu aucune arrestation et pas de casse. Pour Martine Desjardins, présidente de la Fédération des Étudiant/es universitaires du Québec (FEUQ), cela ne signifie qu’une chose : la pression est sur le gouvernement. « Comme ça, il sont obligés de parler de l’enjeux et pas de parler de la casse », rajoute-t-elle.

Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE pense cependant, que c’est la combinaison de plusieurs types de manifestations qui permet d’exercer une pression maximale. Jusqu’à maintenant, aucun des deux regroupements n’a osé se positionner clairement sur le phénomène des Black Bloc dans les manifestations étudiantes. De part et d’autres, le discours officiel est à la non condamnation, mais de la part des individus impliqués dans des tactiques Black Bloc, les avis sont clairs : « La FEUQ déteste le Black Bloc c’est sûr » et « La CLASSE, peut-être plus bureaucratique maintenant, a toujours été tolérante d’une multitude de stratégies. »

Quant à la sécurité assurée par les regroupements étudiants nationaux, reste toujours le fameux débat si l’on doit révéler ou non le trajet des manifestants au SPVM. Gabriel Nadeau-Dubois pense qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la présence des casseurs et le trajet donné ou pas. Il croit d’ailleurs que de garder le trajet secret relève d’une « question de sécurité ». « On a observé que dans certaines manifestations passées, d’avoir donné le trajet permettait aux forces policières de réprimer encore plus les manifestants », relate Nadeau-Dubois.

Malgré tous les obstacles, Roy* pense qu’ « il n’y a aucun moyen d’arrêter un Bloc » et certainement pas la mauvaise réputation qu’on lui attribue.

* Seul les noms des trois bloqueurs ont été changés.


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