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Une Montréalaise, deux Africaines, trois féministes

Valérie Blass, Wangechi Mutu et Ghada Amer au Musée d’art contemporain de Montréal.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Le Musée d’art contemporain de Montréal vient tout juste de dévoiler de nouvelles expositions, comprenant le travail de trois artistes féminines. Valérie Blass, Ghada Amer et Wangechi Mutu présentent chacune une exploration d’importants thèmes de notre société, en utilisant toutes une voix unique.

Valérie Blass

Richard-Max-Tremblay, gracieuseté de la Gladstone Gallery, New York
Valérie Blass présente une juxtaposition aguichante d’éléments traditionnels et innovateurs de la sculpture. Ses œuvres prennent la forme de bricolages abracadabrants composés d’objets trouvés et achetés par l’artiste. Dans le cas des sculptures de Blass, le tout est plus grand que la somme des parties. Sa manière de rassembler des objets discordants pour créer quelque chose de nouveau tend vers le cocasse et entraîne une critique de notre société de consommation. En tant que sculpteure féministe, elle évite justement le piège de représenter les idéaux de beauté et décline le corps désexualisé comme autant de facettes d’un bestiaire imaginaire. Par exemple, L’homme souci, aux allures de gorille, prend forme grâce à une longue barbe noire nattée et perchée sur des escarpins Miu Miu. La rigolote Femme panier est l’exception, avec ses jambes tirées d’un mannequin de plastique chaussées de bas-collants. Serait-elle une auto-caricature de l’artiste elle-même, lui manquant une tête, mais en ferme position d’attaque, avec une moufette en guise de main et un outil de sculpture dans l’autre ?
Gracieuseté de Cheim & Read, New York

Ghada Amer

Ghada Amer est une artiste née au Caire et ayant fait les beaux-arts à Nice. L’exposition au MACM est assez uniforme dans sa présentation d’œuvres somme toute très similaires. Comme Andy Warhol et sa dénonciation du consumérisme à travers le pop art, Ghada Amer dénonce la femme en tant qu’objet sexuel par ses broderies pornographiques représentant la femme anonyme en séries banales. On sent chez elle le désir paradoxal de montrer la femme assumant son plaisir solitaire et, en même temps, son rejet de la nudité dégradante. Ses œuvres sont particulières du fait qu’elles présentent des angles différents selon qu’elles sont vues de près ou de loin. Par exemple, dans Revolution 2.0, de loin, on voit des fils de broderies orientés de façon à évoquer la conduction de l’électricité, alors que de près, ce sont des motifs de femmes en position explicite qui se dévoilent, suggérant que derrière l’effet spectaculaire, se cache un message à portée sociale. Ghada Amer se démarque aussi en utilisant des titres d’œuvres puissants, comme Qui a tué les demoiselles d’Avignon ou encore De beaux rêves qui opposent personnages de dessins animés naïfs et pornographie, mettant en évidence la perte de l’innocence.

David Regen, gracieuseté de la gladstone Gallery, New York

Wangechi Mutu

Wangechi Mutu est une artiste originaire du Kenya ayant fait des études en anthropologie. Par ses collages et ses installations, elle exprime les chevauchements entre les différentes cultures et espèces du monde. Elle rappelle par des éléments taxonomiques, incluant des cheveux et des plumes, le système de classification que nous appliquons aux espèces et même aux peuples humains. L’artiste prend parti pour l’africanité de la femme, la nature, la déconstruction des critères de beauté et y oppose domination et consumérisme à l’occidentale. La sensation allégorique est renforcée par l’ampleur de ses installations, qui utilisent l’espace de manière envahissante. Les murs, les plafonds, le sol, tout est une toile pour l’expression de Wangechi Mutu.

L’exposition au Musée d’art contemporain de Montréal s’avère être d’une belle richesse puisque chaque œuvre mérite qu’on s’y attarde pour sa lecture de l’histoire coloniale et des tiraillements contemporains de l’Afrique.

Harenet, fort dans sa symbolique, montre un lapin fait de matériaux mixtes tels que la céramique et le feutre, orné d’une ceinture de perles, observant d’en bas un renard empaillé dans un cadre et arborant des tresses de cheveux blonds. Blackthrone est une installation, au titre évocateur,  de plusieurs chaises avec extensions rappelant les pattes d’une girafe. Elles sont toutes parées de noir, que ce soit de ruban adhésif, plumes, sacs de plastique ou cheveux crépus.

Show me your city and I’ll show you mine est peut-être le tableau-collage le plus accessible de Wangechi Mutu, montrant à l’avant-plan une savane asséchée où se trouve une femme noire en bikini au motif de léopard, agrémentée d’énormes diamants et d’une perruque de cheveux blonds. À l’arrière-plan figure une ville avec ses tours et sa hutte modernisée.

Sa technique de peinture mélange aérographe, pochoir et spills ce qui crée une esthétique remarquable, entre tribalité et chic occidental. Dans une autre installation, nommée Untitled, des bouteilles de vin rouge suspendues au plafond grâce à des harnais sont pointées vers le sol, où des assiettes émaillées font figure de cibles tachées de vin et/ou de sang. Finalement, le triptyque Moth Girls, récemment acquis par le Musée, est  au cœur de l’exposition. Les mites sont des femmes faites en céramique, qu’on croirait enceintes, couchées sur le ventre, portant des ailes de cuir sur le dos et des antennes de plumes. L’ensemble est sujet à de multiples interprétations, qui mélangent fascination et répulsion.

Ces trois expositions se marient bien grâce à leurs thèmes et leurs techniques complémentaires, un partage qui les rend favorables à une visite combinée. Les artistes amènent le visiteur à une contemplation de la matérialité d’une société marquée par la consommation et la mondialisation ainsi qu’à une réflexion sur la place des femmes dans la société.

Valérie Blass, Ghada Amer et Wangeshi Mutu

Où : Musée d’art contemporain de Montréal
185 Ste-Catherine Ouest
Quand :
jusqu’au 22 avril


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