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Cours de suédois

Les temps sont durs pour ceux qui tiennent une chronique politique : il n’y a rien à se mettre sous la mine.

On attend des aficionados de l’affaire publique qu’ils se satisfassent, au choix, de promesses d’action contre l’empire malfaisant de la construction, ou d’énièmes prophéties nostradamussiennes sur l’avenir de la langue française à Montréal. Que du réchauffé, en somme.

Est-ce trop demander à la montgolfière politique que de cesser de pomper l’air chaud puis de redescendre un peu sur terre ? « Plus facile à dire qu’à faire » entends-je. Allons, un peu d’aplomb, il suffit d’un mot, lourd de sens : allemansrätt (prononcez-le comme il s’écrit : dans la douleur.)

Alle-mans-rätt ou every-man’s‑right, c’est le Suédois pour « droit de tout un chacun », le piédestal juridique pour une Mecque du plein air. En fait, l’allemansrätt assujettit toute la campagne suédoise au droit universel de passage, bivouac et cueillette. Il est donc parfaitement légal, en Laponie mettons, d’enjamber une clôture et de planter sa tente pour la nuit, sans en toucher mot aux propriétaires.

Évidemment, les terres agricoles et les alentours immédiats des résidences sont hors limites. Il n’empêche que l’allemansrätt ouvre presque l’entièreté du territoire naturel aux trekkeurs endurcis comme aux campeurs d’un soir, pourvu qu’ils soient propres et discrets. Les Suédois sont aussi attachés à ce droit coutumier qu’à IKEA, si bien qu’ils l’ont réifié dans leur constitution.

Pourquoi pas chez nous ? Les coureurs des bois occupent une place centrale dans le folklore national, alors les Québécois devraient l’avoir dans le sang, cet allemansrätt !

D’ailleurs on le sait, l’air champêtre éclaircit les idées comme par sélection naturelle. Quel mcgillois aux méninges surmenées ne rêve pas du plein air aux portes de Montréal, d’un réveil au milieu de la rosée, dans une clairière sur le chemin de Chambly ?

Au fond, l’allemansrätt démocratise la nature et son aura thérapeutique : c’est un peu comme un service public, et pour pas une piastre. Puisqu’on grafigne déjà les droits individuels pour profiter d’une langue, on peut bien faire une petite entorse à la propriété pour profiter de la nature.

Vraiment, la constellation de l’espace public en Amérique du Nord n’a rien de stellaire : des routes ici, quelques parcs là. Le continent est presque impénétrable, car partout il y a des clôtures réelles ou imaginaires qu’on ne peut pas légalement enjamber. C’était pareil au Royaume-Uni –l’épicentre des enclosures– mais depuis le pays a voté un parhélie de l’allemansrätt et a rejoint le wagon scandinave.

Ça ne prend donc pas tellement de palabres : juste un mot, allemansrätt. On s’habitue même à le dire à force. Mais surtout, ce seul mot changerait le monde pour bien des gens.

Changer le monde : ça ferait changement, tiens !

Pendant ce temps à l’Assemblé Nationale, ça remue le ciel à la recherche de miracles pour tout mais surtout pour rien, puis ça passe ses vacances sur le yacht de Tony Accurso, pas sous la tente. Du coup, au Québec, il n’y a encore que les compagnies gazières qui vont où bon leur semble.


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