Les ruines de l’ancien empire, datant d’il y a plusieurs centaines d’années, sont partout : sur le drapeau, la monnaie, la bière, les paquets de cigarettes… Côté bouffe, c’est un peu la même chose. À première vue, la cuisine du pays semble se limiter à un plat : le amoc. Un délicieux plat de poisson blanc cuit dans une feuille de banane avec de la noix de coco et de la citronnelle. Ça, et le prahoc, beaucoup moins ragoûtant : une pâte de poisson fermenté que les Cambodgiens mettent un peu partout.

Visiter le Cambodge se résume donc à voir Angkor Wat et à manger du amoc ? Bien sûr que non, mais, malheureusement, ce qui semble s’offrir à vous se limite bien souvent à ça… et à tout ce que le touriste moyen veut bien manger ou faire. Or, le touriste moyen est rarement en quête d’authenticité culturelle. Essayez, pour voir, de marcher dans les rues de Phnom Penh ou de Siem Reap après 23h sans vous faire interpeller par un habitant du coin : « Weed ? Massage ?».

Bref, vous avez compris, les Cambodgiens sont forts en prostitution. Pas seulement celle qui implique les corps de leurs jeunes, mais aussi celle de leurs valeurs, et même de leur identité. Même les Thaïlandais, « pas pire » dans ce domaine-là, ont appris à faire ça avec plus de discrétion.
Voyez-vous, depuis la chute de l’empire d’Angkor, le peuple cambodgien a été gouverné successivement par trois types de dirigeants : des faibles, des Français et des fous. Les faibles, c’est une succession de rois qui, après ladite chute, ont dû chercher la protection de leurs voisins thaïlandais et vietnamiens, bien souvent payée au prix fort. Les Français, ce sont évidemment les colons qui ont régné en maîtres sur cette partie de l’Indochine de 1864 à 1953. Les fous, ce sont les Khmers rouges qui, de 1975 à 1979, ont vidé les villes de leurs populations, réduit tout un peuple à l’esclavage, abattu les intellectuels et exterminé tous ceux que l’on suspectait de traîtrise. À côté de ça, la Révolution culturelle du camarade Mao, c’était presque des vacances.
Après ça, allez blâmer tous ceux qui peuvent enfin gagner un peu d’argent en servant des pizzas au pot ou de la fausse bouffe thaïe (j’ai mangé un pad thaï dont la sauce était faite à base de ketchup), au lieu de la cuisine traditionnelle de leur famille, dont la moitié a d’ailleurs été décimée.

Voilà un peu quel était mon état d’esprit après dix jours dans ce pays. Je commençais à croire que tout ce qui valait le détour, c’était Angkor. Pire encore, je commençais presque à admettre que le seul côté authentique que j’allais pouvoir expérimenter dans ce pays, mis à part les quelques vrais plats khmers que j’avais dénichés par-ci par-là, c’était sa putain de dure réalité. Et puis, je suis parti vers de plus petites villes, sur la côte sud du pays, là où mon Lonely Planet m’avertissait qu’il n’y avait rien à faire. Eh bien, pendant quatre jours, j’ai rien fait. Rien de plus que marcher, lire, boire et manger. Et ce fut le bonheur, à la cambodgienne.
À Kep d’abord, reconnue par les habitants du coin pour son marché aux crabes, où j’ai passé toute une journée à lire dans un hamac, à dormir et à manger de ces délicieux crustacés fraîchement péchés, le tout avec la mer en toile de fond. Puis à Kampot, petite ville traversée d’une rivière et entourée de plantations de poivre, où j’ai mangé pendant trois jours dans les mêmes bouis-bouis du même petit tronçon de rue.

Voilà pourquoi, malgré une réconciliation tardive avec le pays, le Cambodge reste pour moi une péripatéticienne. Pute, je n’oserais pas. Ils ont bâti Angkor Wat, quand même.
Bonne fin de session et bonne chance pour vos examens. Pour ceux qui voudraient suivre la suite de mes aventures en Asie du Sud-Est : http://christophe-ase.blogspot.com
Péripatéticienne : Du grec ancien péripatétikos (« qui aime se promener en discutant »), le terme désigne communément les prostituées, qui « se promènent » beaucoup.