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L’espoir birman

Mon séjour en Birmanie a mal commencé ; très mal. Déjà, dans l’avion qui m’amenait de Bangkok à Rangoon, je commençais à me sentir un peu faible. À mes premiers pas hors de l’avion, j’ai eu l’impression que j’allais m’évanouir. Ma tête était prête à imploser à tout moment. De grosses gouttes de sueur coulaient de mon front, malgré l’air climatisé de l’aéroport. Et un appel assez pressant des toilettes…Bref, comme arrivée dans un pays comme le Myanmar (nom officiel donné au pays par la sympathique junte militaire au pouvoir), il y a mieux. Parce que, voyez-vous, en plus de ne pas être un exemple de démocratie et de liberté, le pays est pauvre, très pauvre. Mon intuition me disait donc que le système de santé n’allait pas être des plus fiables. Un peu à l’image du taxi qui m’amena de l’aéroport à l’auberge : une carrosserie à quatre roues sans air climatisé ni clignotants… J’étais un peu inquiet.

Mais bon, après moult visites aux toilettes et un nombre incalculable de Tylenols, je m’en suis sorti. De toute façon, en Asie, tout le monde passe par là tôt ou tard. Le truc embêtant, c’est que sur les douze jours que je m’étais réservé en Birmanie, trois d’entre eux venaient de passer sans que j’aie pu goûter un seul plat birman, mis à part l’indémodable bol de riz blanc, et les pâtisseries locales ; j’en ai mangé des rondes, des carrées, des triangulaires, des jaunes, des rouges et des fourrées… Eh ben, elles goûtaient toutes la banane.

Le lendemain, à mon arrivée à Bagan, une ville plus au Nord du pays, j’étais prêt à recommencer à manger comme un être humain normal. J’ai donc pris place dans le premier restaurant venu et commandé le plat qui semblait le plus birman : « Fried mutton balls ». « Il n’y en a plus », la serveuse me dit, tout en m’indiquant qu’ils peuvent me faire du « Fried mutton » tout court. De quelle partie du mouton s’agit-il, mademoiselle ? Elle n’a pas pu (voulu?) me le dire. Après dix minutes d’attente, la fille revient avec un gros bol de soupe, deux salades, des arachides dans de l’huile avec des épinards, des feuilles de laitue, deux petits plats d’épices et un gros bol de riz. Pas de trace de mon mouton frit. Je me jette sur la soupe, qui est en fait un bouillon accompagné de quelques légumes et de coriandre dont le fond est noir comme de la terre. Très épicé, mais excellent. La serveuse revient avec un dernier plat, qui ressemble à tout sauf à l’idée que je me faisais du mouton frit. Sauf si l’on parle des poils de la bête. Je ne vois toujours pas de quoi d’autre il pouvait s’agir. « Filandreux » est un euphémisme pour décrire ces galettes aplaties de fils frits de couleur noirâtre.

Au moins, les deux salades étaient très bonnes. Faites à partir d’échalotes frites dans de l’huile d’arachide, d’ail, d’oignon, de pâte de poisson, de lime et de poudre de pois chiches et de tomates, ces thote (salade en birman) m’ont permis de faire honneur à mon premier repas au Myanmar. Je sortais quand même du resto en me disant que j’allais trouver le temps long, si tous les plats de viande ressemblaient à ce que je venais d’essayer de manger. Je pouvais toujours me consoler en pensant au prix payé : moins de deux dollars pour le tout.

Trois jours plus tard, je partais de Bagan, les papilles toujours insatisfaites, pour aller dans la région du Lac Inle. Le « potager du pays », d’après un guide birman auquel j’avais parlé la veille. J’avais de l’espoir. Et de l’espoir, il m’en a fallu, pour passer au travers des nombreuses heures de routes de montagnes passées dans un minibus, entassé que j’étais entre un touriste chinois et les nombreux Birmans qui s’installaient au milieu de l’allée sur des petits tabourets en plastique. Ainsi, pendant un assez long moment, j’avais mon nouvel ami, Wang, qui dormait confortablement sur mon épaule gauche, et une femme birmane qui allaitait son bébé à ma droite. Ce fut long. Onze heures et 330 kilomètres (sans blague) plus tard, nous étions arrivés aux abords du lac.

De là, mes deux compagnons de route et moi avons pris un petit bateau à moteur, direction n’importe quel restaurant sur le lac (les gens vivent littéralement à la surface de l’eau, dans des maisons sur pilotis). Une fois arrivé, je n’ai pas attendu longtemps avant d’avoir devant moi un plat d’anguille fraîchement pêchée, accompagné d’un délicieux curry aux tomates. Et c’est là, à ma première bouchée, alors que le soleil se couchait sur le majestueux lac, que j’ai compris pourquoi, malgré tout, les Birmans arrivent à garder le sourire et l’espoir.


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