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Chronique d’une postmoderne indigne

L’autre jour, j’ai essayé de résumer le dernier livre de Vincent Tholomé, La Pologne & autres récits de l’Est, paru ce mois-ci au Quartanier. Voici ce que ça a donné : 

Un certain vincent tholomé (à ne pas confondre avec l’auteur, qui lui a droit à des majuscules) se rend tous les matins à une cafétéria de namurland et entretient les filles des facéties de « dieu la pologne ». Dieu la pologne qui trompe son ennui en essayant d’exister dans l’esprit du pauvre tholomé, s’infiltrant jusque dans sa braguette et sous la plante de son pied. Le « diable de l’enfer » s’en mêle à son tour, et une guerre cosmique éclate bientôt derrière le divan du salon et sa presque épouse nathalie. En pleine épidémie de grippe aviaire, le jeune coq révolutionnaire sergueï ivanovitch tente quant à lui d’inciter son poulailler à la révolte. Les hôpitaux concoctent des plans de sauvetage plutôt douteux, les gens se passent leur chat dans la gorge et leur bouchon d’ouate dans l’oreille, et l’ensemble du poulailler finit par prendre la fuite vers la campagne. Pendant ce temps, un couple moscovite aimant manger chinois roule dans sa voiture à toute allure, jusqu’à se perdre dans le paysage blanc sibérien, où l’on retrouve notre bande de poulets organisée pour la survie au grand froid… « tandis que le reste de l’humanité retourne à l’état sauvage. »

La morale de cette histoire ? Résumer les quatre-vingt-seize pages de La Pologne & autres récits de l’Est est un exercice périlleux. Certes, en tant qu’admiratrice de vieilles choses littéraires, jeune postmoderne indigne de son époque, j’étais peut-être mal équipée pour affronter mon premier Tholomé. Tout au long de ma lecture, la main au front, les sourcils froncés, j’ai bien naïvement guetté à l’horizon une intrigue linéaire et des personnages typés qui allaient me poser un gros lapin. 

J’ai refermé La Pologne & autres récits de l’Est comme on referme une parenthèse. Parenthèse déboussolante, parfois éblouissante, où l’on perd facilement le Nord, et où nos repères cardinaux de lecteurs ne valent plus grand-chose. L’ensemble se lit comme une sorte d’expérience de laboratoire, où tout est hypothétique, tout existe sous forme de potentialité, en autant que l’on se prête au jeu. « Alors il y a ce type. vincent tholomé. Qui ça ? vincent tholomé. […] Mais tu peux l’appeler autrement si tu veux », nous lance-t-on dès l’ouverture. À l’image de « dieu la pologne », les personnages et leurs aventures surgissent de manière arbitraire, comme par génération spontanée dans l’imagination de l’auteur, pour presque aussitôt y revenir et disparaître : « Vous connaissez la pologne ? La pologne existe. Enfin. Tant que quelqu’un y pense. […] Je dis la pologne. Je pourrais dire dieu. Dieu la pologne n’existe que s’il vient dans l’esprit de quelqu’un. »

Le résultat est une œuvre ludique, parfois très comique, parfois plutôt objet de curiosité. Découpé en plusieurs courtes parties, le récit oscille entre le ton de la BD, la parodie de reportage journalistique, le récit apocalyptique et le style roman policier, à la limite du paranoïaque. On croirait assister à un court-circuit dans le cerveau de tholomé, ruminant ces obsédantes fabulations qui l’accompagnent au quotidien.

On pourrait dire que ce bouillonnement absurde de pensées que nous livre tholomé devient une fin en soi dans La Pologne : ici, nulle impression d’arrière-pensée ou de sens caché à découvrir. Le monde autour est plat (mais pas « plate » du tout), comme un décor de carton-pâte construit par le personnage à même sa tête. Il s’agit tout simplement pour nous, lecteurs, de faire l’expérience du livre comme tholomé fait l’expérience du monde, de ses sursauts et hoquets incongrus, rendus directement par son verbe si particulier : tronçonné, éclaté en petits fragments, de moins en moins lisible. 

Et, je vous l’assure, on s’y soumet avec allégresse. Eh oui, même moi.

Le lancement de La Pologne & autres récits de l’Est, ainsi que de trois autres livres de la collection OVNI (Turpitude – le grand complot de la collectivité de Fabien Loszach, Les Occidentales de Maggie Roussel et une réédition de Matamore n° 29 d’Alain Farah) aura lieu le 28 octobre prochain, à partir de 17h30, à la librairie Le Port de Tête.


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