Aller au contenu

L’ultime tabou

À première vue, l’exposition 1,5–1,5 paraît malingre avec ses huit photos portrayant quatre sujets seulement. Pourtant, les quelques clichés lèvent le voile sur un sujet des plus sensibles. 

L’œuvre de Christophe Jivraj aborde la relation au corps et la sensualité des personnes handicapées. Les peurs associées au sujet de la sensualité des personnes lourdement handicapées proviennent de l’«anormalité » supposée de la chose. « Pourtant, assure Jivraj, leur corps, leur nudité, tout ce qui les entoure est tout à fait normal. Ils sont fiers de leur corps et se savent normaux, humains. » Nadia une participante de l’exposition, n’avait aucun problème à se montrer complètement nue dans une pose lascive. Atteints de dysfonctions physiques, ils sont toutefois cognitivement lucides.

Le travail photographique de Christophe Jivraj sur les tabous de la sexualité et du corps dysfonctionnel pertube, et dérange. Un visiteur commente : « Moi, voir des corps réduits en bouillie dans un film d’aliens ne m’affecte pas d’un poil, mais voir des personnes dans de telles positions, avec de tels corps, ça me met vraiment mal à l’aise. »

Les réactions du public face à la sexualité des personnes handicapées cérébrales n’ont pourtant rien de surprenant. Christophe Jivraj, qui avait travaillé auprès de personnes handicapées avant d’initier son projet, d’abord comme soignant, puis comme artiste, explique qu’il a lui-même émis quelques réserves avant d’accéder à la demande des patients. « Il m’a fallu beaucoup de temps avant de me lancer dans ce projet, et cinq ans avant d’être à l’aise avec eux. »

Pourquoi l’artiste avait-il cette réticence à montrer ces corps lourdement handicapés ? « J’avais peur, répond sans gêne Christophe Jivraj, les réactions des gens, entre autres, m’intimidaient. Je savais qu’en exposant des clichés de corps comme ceux-là dans des positions équivoques, certaines personnes allaient me prendre pour un fou ou tout simplement éviter l’exposition. »

Le photographe pense maintenant prendre une pause : « Une partie de moi a envie de recommencer le même genre d’expérience, mais une autre part de moi est fatiguée. » En effet, Jivraj, dans le cadre des expositions, avait constamment besoin de justifier ses clichés et ses idées. Des commentaires comme : « Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? », l’ont épuisé. « Je suis extrêmement satisfait de mon projet, mais je suis fatigué de me défendre… Peut-être vais-je me mettre aux paysages pour un petit bout de temps et on verra après ! », s’exclame l’artiste en riant.

Après cinq ans de travail, Christophe Jivraj a de quoi être fier de son œuvre. Dans sa tentative de montrer ce que l’on ne veut pas voir, peut-être même ne pas imaginer, il sait livrer le paradoxe d’un corps déstructuré et sensuel, placé pour séduire dans un environnement réfractaire à toute avance. L’exposition a le mérite de traiter et de glorifier un tabou qui a de quoi troubler même les esprits les plus ouverts !


Articles en lien