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Ultime bafouille

Petit cours d’écriture à l’usage de tous.

Gwenn Duval

Voici venu le temps de conjuguer le bonjour avec l’au revoir. Au carillon quelconque de mon intelli-téléphone-réveil j’ai compris, ce matin, que l’heure avait sonné. Je n’aime pas conclure, et ce serait mentir effrontément que de le faire. Au revoir le dit bien, j’aurais dit à jamais si j’avais voulu dire à jamais. Je vous annonce ici que je ne disparais pas à jamais. Mais que cela peut-il bien vous faire ? Quand bien même je disparaîtrais, je serais toujours là, encrée treize fois dans les pages du Délit.

Non, je ne disparais pas, je me déplace, oui comme les mots sur leurs pages, je suis amovible. Je vais voguer ailleurs, m’exercer comme dirait l’autre, à ma fantasque escrime et regarder ma lame dans le déroulement infini de mes gammes. Le Délit est commis, l’intention y était. Et j’y aurais appris, non sans épancher ma soif d’écrire à la sueur de mon propre front, que la direction vers laquelle regarder, seule l’expérience complexe de l’altérité a la force de la distinguer d’un point fixe. Le point fixe est une tâche. 

Ceci n’est pas un carré blanc sur un fond blanc. Ceci est un front blanc sur une carte blanche. La tâche se dessine, j’ai perdu ma gomme. Je vous laisse, lecteurs, fidèles lecteurs, à votre volonté. Et je laisse entre vos mains la tâche de suivre encore le cours de tous ces usages sujets à caution. Et je laisse entre vos pensées la tâche de suie qui court encore sur les jeans des enfants pas sages, mais attention. Attention de vous perdre.

Attention de ne jamais croire que vous vous êtes trouvés. Attention de ne jamais croire que vous avez raison. Attention de ne jamais croire savoir. Attention de toujours changer la phrase en question avant de l’étaler comme du beurre sur une tartine. Attention de ne pas toujours chercher à comprendre, attention de toujours chercher à entendre. Attention au mot persuadé, dit trop vite on entend : perd (perdre), sua (suer), dés (un coup de). À ton attention, lecteur, je porte cette considération : 

Loin de moi était l’idée de prétendre à quelque érudition littéraire. Loin de moi reste-t-elle. Érudition, dit-on, dis donc, la reine Dinon qui dîna, vous savez, de ces dodus dindons. Oui, voici toute mon érudition lecteur — des sons, des phonèmes, des mots dans ma bouche qui se bousculent pour s’articuler alors qu’ils respiraient l’air frais de la pensée, les voici qui s’embouteillent soudain dans des petits pots de beurres — puis se dépetipodebeurrisent. Et tous ces verbes que l’on plie, et les lettres, ces plis, tous ces épis que l’on cueille dans les écueils que trois gros raz-de-marée gris auraient pris pour des souris si le temps le leur avait permis. Y a‑t-il quelqu’un qui ait mal aux maxillaires ? 

Près de moi est venue l’idée de prétendre à quelque rébellion littéraire. Près de moi reste-t-elle. Les phrases naissent en continuité, se succèdent et s’allient. Croyez-en mon expérience incertaine, certaines d’entre elles n’ont pas besoin de leur contexte. Aussi, lorsqu’après vous avoir fait avaler environ 6500 mots de délire hebdomadaire, je vous demande de faire preuve de bienveillance à mon égard, c’est que je compte sur votre écoute pour saisir, sans vous offusquer, le sens de cette dernière phrase que je soumets à votre bon vouloir référentiel : c’est en frondant que l’on fonde Les Frondeurs.


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