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Cachez ce corps que je ne saurais voir

1,5–1,5, titre pour le moins énigmatique, signifie « corps » dans le langage des sujets qui participent au projet. Bienvenue dans un monde où même la communication s’avère différente.

Du 26 février au 4 mars, le Centre des arts actuels Skol présente le travail photographique de Christophe Jivraj, un artiste qui flirte avec les tabous de la sexualité et du corps dysfonctionnel. Portrayant des sujets atteints de dysfonctions physiques mais cognitivement lucides, l’exposition 1,5–1,5 traite ce qui est rarement abordé à voix haute, glorifie ce qui est difficilement acceptable.

Français d’origine, après avoir grandi à Toronto et étudié à Concordia, Christophe Jivraj a présenté son travail à travers le Canada, notamment à la Harcout House d’Edmonton et à la New Gallery de Calgary. OEuvrant depuis cinq ans auprès d’adultes handicapés physiquement, d’abord comme soignant puis comme artiste, Jivraj sait assembler en peu de clichés la déconstruction de ces corps lourdement handicapés.

Allongés sur leur lit, les modèles prennent tous des positions qui se veulent sensuelles, la plupart exhibant des jambes et un torse nus. L’artiste joue avec la texture de l’arrière-plan, tantôt chargé, tantôt dénudé, pour rappeler l’univers familier des participants. La composition des photos varie elle aussi, mais le point central de chacune demeure le corps et l’expression du sujet.

À première vue, l’exposition paraît malingre avec ses huit photos portrayant quatre sujets seulement. Pourtant, les quelques clichés libèrent un tel amalgame d’émotions – énergie, lourdeur, souffrance, force, candeur – qu’ils rassasient les esprits et les préparent à plusieurs heures de discussion post-exposition. Un visiteur commente : « Moi, […] voir des personnes dans de telles positions, avec de tels corps, ça me met vraiment mal à l’aise. »

En effet, tout est déstabilisant dans le travail de l’artiste. Il existe un tel contraste au sein d’une même photo qu’il est surprenant qu’elle conserve son unité. Le corps, la posture, l’expression et l’environnement sont des éléments qui s’opposent si vivement entre eux que chaque image demande un temps d’adaptation. La pose lascive, semblable à celle que prennent les mannequins de Playboy, se détraque au contact de la difformité des sujets. L’environnement de chaque modèle, quant à lui, ramène à la dure réalité : le lit d’hôpital éteint l’étincelle de l’érotisme. Le tableau de contrastes se complète avec le visage du modèle, qui arbore une expression particulière à sa personnalité, donnant ainsi vie à l’instant.

Le concept de l’identité est central au travail de Jivraj. C’est en prenant des poses qui leur sont propres que les participants tentent de réaffirmer leur personnalité. Cette tentative de redéfinition de soi est compréhensible et nécessaire dans le processus de valorisation de chacun des participants.

Ainsi, à l’intérieur d’une fraction de seconde, Christophe Jivraj sait livrer le paradoxe d’un corps déstructuré, placé pour séduire dans un environnement réfractaire à toute avance. De quoi troubler même les esprits les plus ouverts !

1,5–1,5
Où : Galerie SKOL, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 314
Quand : jusqu’au 3 avril
Combien : Gratuit


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