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Donner voix aux mots

Le Studio littéraire tente, par une série de lectures publiques, de donner vie sur scène à plusieurs textes littéraires, à la Cinquième Salle de la Place des Arts

Une fois par mois, toujours un lundi, le Studio littéraire invite un artiste à lire une oeuvre sélectionnée pour l’occasion. Le 22 mars dernier, c’était au tour de la comédienne Anne-Marie Cadieux de nous livrer les mots de l’écrivaine Catherine Mavrikakis.

La force et la richesse de la soirée ont véritablement reposé sur le quatrième roman de Catherine Mavrikakis, Le Ciel de Bay City, pour lequel l’auteure a remporté le Grand prix du livre de Montréal, le Prix littéraire des collégiens et le Prix des libraires du Québec. Des récompenses amplement méritées, tant pour la forme que le fond du texte. Catherine Mavrikakis y aborde habilement la grande Histoire à travers la petite, exposant les souvenirs de la narratrice issus de son enfance au Michigan. Au fil des pages reviennent constamment trois thèmes : l’Amérique, le mal de vivre et la mort.

Le lecteur est confronté aux difficultés d’une famille de Juifs émigrés, pour qui l’Amérique représente véritablement un Nouveau monde. Là, toutes les horreurs vécues au temps de la guerre sont enfouies sous des montagnes de vacuités banlieusardes débordantes de joie : K‑Mart, sécheuse, vaporisateur Glad, enfants asthmatiques, GM, Ford, arbres chétifs, bungalows-bunkers, fesses collées au sofa du TV room. À travers cela, c’est le mal-être de l’héroïne qui transparaît. L’héritage refoulé de la Shoah n’est pas étranger à ce mal de vivre : effluves des camps, Auschwitz, impuissance et déni d’un héritage juif hantent la vie de la narratrice. Le ciel de Bay City, c’est une écriture efficace, des mots redoutables, des phrases posées, une structure équilibrée, c’est un ciel « mauve saumâtre » qui nous poursuit longtemps.

La série de lectures publiques du Studio littéraire a débuté en janvier 2003 sous la direction de Michelle Corbeil et de Stéphane Lépine. La volonté de propager la littérature par la voie orale, une tradition qui se perd peu à peu en Occident, est louable et permet au spectateur de faire voyager son imaginaire, dégustant un à un les mots racontés.

Il faut toutefois souligner que la lecture d’Anne-Marie Cadieux était plutôt statique. La comédienne était assise à une table en bois massive, placée en plein milieu de la scène, avec une lampe et un verre d’eau pour toute mise en scène. On pourrait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois que la lectrice a daigné lever le nez de son livre pour jeter un coup d’oeil vers le public. Si les intonations et l’expression de la comédienne étaient justes, presque sans accrochages, et suivaient bien le texte, ils étaient également sans surprise et l’interprétation a été d’un calme plat pendant les cinquante-sept pages lues, à l’exception d’un bref refrain chanté a capella. Une lecture qui ne rendait pas justice au talent scénique certain dont Anne-Marie Cadieux sait faire preuve, ni au texte de Mavrikakis. Bien que l’actrice ait voulu s’effacer pour laisser toute la place à l’essence des mots, son minimalisme ne parvient pas à séduire le public.

À l’ère des films en 3D, il est tout de même réconfortant de savoir que le Studio littéraire ose nous ramener au plaisir simple de la lecture, laissant toute la place à une voix claire et à une histoire authentique et touchante de coeurs écorchés et de mise à nu. Il est bon de déguster tranquillement un roman dans un monde d’émotions à la sauce prêt-àporter.

Prochaines lectures publiques du Studio littéraire :
René-Daniel Dubois lit Albert Camus (12 avril)
Carte blanche à Dany Laferrière (10 mai).
Coût : 10$ étudiant


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