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HA ha!…, ou le rire jaune

Ducharme navigue entre sado-masochisme et humour loufoque.

Photo: Jean-François Gratton

Réjean Ducharme, cet auteur fantôme du Québec, n’aurait lui-même pu rester de glace devant cette représentation de sa pièce HA ha!… On s’abandonne et on « tombe » dans l’histoire à cent milles à l’heure. On rit, on pleure, on souhaite se révolter, on ne comprend pas toujours, on se tortille sur son siège lorsqu’on ressent, avec un certain malaise, le désarroi ou la cruauté des personnages ; cependant, l’essentiel est accompli, car HA ha!… est un divertissement inégalé qui transperce le spectateur jusqu’au cœur.

Photo : Jean-François Gratton
Cette pièce est une telle effervescence de folie, de mots et d’éruption de rires ou de colère que s’y perdre est sûrement le meilleur moyen de la comprendre. On y retrouve Mimi (Sophie Cadieux) et Bernard (Marc Béland), Sophie (Anne-Marie Cadieux) et Roger (François Papineau), deux couples qui vont s’amuser perversement à s’entredétruire en jouant à un jeu malsain, celui de se faire mal, de se porter coup après coup par la parole et les actes. C’est un peu, beaucoup et même excessivement troublant de voir interagir des gens qui ne croient plus en rien, qui sont cruels l’un envers l’autre simplement pour le plaisir de jouer à souffrir et à faire souffrir. Par ailleurs, la pièce se termine par la mort d’un des personnages. Le jeu des acteurs est à saluer, en particulier celui des deux interprètes féminines qui semblent animées par une énergie toute particulière et donnent un éclat réel et profond à leur personnage respectif. Sophie Cadieux est touchante dans son rôle de Mimi à la voix plaintive, une âme naïve qui ne supporte pas qu’on la touche « parce que ça fait trop mal ». Anne-Marie Cadieux surprend agréablement dans une interprétation puissante, en jouant un personnage démoniaque très loin de ses rôles habituels. François Papineau en poète dépravé et Marc Béland en ivrogne un brin clownesque ne laissent pas leur place non plus, sans toutefois nous subjuguer complètement.

Dominic Champagne signe une mise en scène énergique qui fait usage de tout l’espace mis à sa disposition et qui demeure efficace tout en laissant place aux débordements des personnages et où le langage éclaté, propre à Réjean Ducharme, peut s’épanouir complètement. Le décor est à l’image des personnages : corrompu et souillé. Toute la scène est transformée en un appartement partagé par les deux couples, envahi de déchets, de bouteilles de vodka vides et de vieux journaux roulés en boule. C’est un lieu qui transpire parfaitement le vice et la décadence humaine. Les jeux d’éclairage sont aussi très intéressants et participent fortement à l’atmosphère du moment.

Et on rit ! On rit souvent et ce même aux éclats, mais pourtant la pièce nous laisse un certain goût amer à la bouche. On est troublé de la première réplique jusqu’à la dernière, et très rapidement notre rire se teinte de jaune devant de telles manifestations d’égoïsme et de cruauté humaine. HA ha!…, une pièce qui met en scène l’absurdité et l’inhumanité de nos rapports sociaux, est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 10 décembre.


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