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Icaro, ce clown

Icaro, de Daniele Finzi Pasca, fait « pleuvoir dans les yeux des gens » et chanter les lits d’hôpitaux. Chronique d’un réenchantement du monde.

À première vue, tout pointe vers la catastrophe : la critique, qui se félicite de ce théâtre « feel good » (dixit La Presse) qui fera pleurer « petits et grands », à moins qu’on ne soit « mort à l’intérieur », comme nous l’indique la brochure de présentation (nous voilà prévenus); la genèse de ce spectacle, inspiré d’une expérience vécue auprès d’enfants malades à Calcutta et conçu en prison alors que son auteur, Daniele Finzi Pasca (un charmant quarantenaire tessinois connu dans le monde entier), purgeait sa peine pour objection de conscience ; Finzi lui-même, enfin, qui ne peut s’empêcher d’esquinter en prologue le « théâtre contemporain conceptuel », et qui cherche avec cette pièce à renouer avec la simplicité, à « faire pleuvoir dans les yeux des gens » (comme Simple Jack dans Tropic Thunder). Cela pue l’anti-intellectualisme forcené couplé d’un philanthropisme protestant qui aime sa plèbe à distance (quel bonheur que cette pièce, qui nous emmène dans la chambre des malades indiens, l’odeur et le bruit en moins). L’ambiance télévisuelle (entre « Le plus grand cabaret du monde » et « The Oprah Winfrey Show ») est confirmée lorsque vient le temps pour le comédien-metteur en scène de choisir, parmi le public, son ou sa partenaire de scène d’un soir. Le quatrième mur est (une fois de plus) brisé, les spectateurs frémissent un peu, partagés entre le désir d’être choisis et celui de rester au chaud dans leur fauteuil. Finalement, tout le monde applaudit la candidate sélectionnée, qui suit d’un air benêt le comédien hors-scène. Déballez vos bonbons et éteignez vos téléphones, la pièce commence.

Pourtant, une fois tous ces parasites écartés, une fois accepté le fait que l’on assistera aux clowneries d’un Pierrot-Pedrolino toujours aussi délicieusement maladroit (crise de rire générale alors que notre antihéros tente d’enfiler son pantalon par-dessus sa robe de chambre, et se met à tourner sur lui-même comme un chien après sa queue), une singulière mélancolie nous gagne. C’est que sous ses airs de bouffon, Pasca est un esthète et un passeur qui initie le spectateuracteur à un système de représentation total. Scène marquante que celle où le comédien demande à la star d’un soir, une Canadienne anglaise au français approximatif, d’imaginer une nouvelle fonction à la table de la chambre d’hôpital où elle se trouve. « Un ring de hockey ? », répond-elle, quasi instinctivement. Explosion de rire de notre Pedrolino, qui décide alors de lui jouer de son instrument : un lit transformé en cithare avec des ressorts en guise de cordes. À la pauvreté d’un imaginaire télévisuel (le hockey), vient se supplanter une énergie créatrice qui change un quotidien banalisé en Gesammtkunstwerk symphonique.

C’est là la force de cette pièce et de son auteur, qui invoquent un dispositif scénique élémentaire, voire morbide (une chambre d’hôpital), et une tradition dramaturgique stéréotypée (la Commedia dell’arte) pour mieux les investir d’accessoires (étoffes, tiroirs) et de leur propre chaleur clownesque. Le mythe d’Icare était un rappel féroce et pessimiste (grec antique, donc) de l’impossibilité qu’a l’homme de transcender sa condition. Or, Pasca se propose de « réenchanter » le monde. Comme si Icare, en pleine chute et sachant qu’il était condamné, se mettait à chanter et à rêver au son et à l’odeur de ses plumes crépitant sous la chaleur mortelle du soleil.

Icaro
Où : Usine C, 1345, av. Lalonde
Quand : jusqu’au 3 avril
Combien : 25$ (30 ans et moins)


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