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Juste un dernier effort

4:48 Psychose grave le mal-être sur les planches du Mainline.

Caroline Sailly

Mise en garde : ce texte parle de suicide, de dépression, d’hôpital psychiatrique et d’automutilation.

L’espace est étroit et les voix s’entrechoquent. Je suis sans bouger le défilé des perspectives. Je tourne en rond assise sur mon siège. Je marche d’avant en arrière sur un fil tendu entre espoir et désespoir. Comme en dépression. Je suis spectatrice de 4:48 Psychose de Sarah Kane, mise en scène il y a quelques semaines par Alice Hinchliffe et j’écoute les comédien·ne·s se donner la réplique. 

Retrouver la perte

Aidan Cottreau, Alma de Montplaisir et Arun Varma incarnent à trois voix une pièce écrite sans direction ni personnage précis et par-là immensément complexe à mettre en scène. On dit que le texte de Sarah Kane aurait émané de la volonté de la dramaturge d’écrire une dernière fois son mal-être avant d’y succomber en s’ôtant la vie. Des thèmes abordés à la structure elle-même, tout dans cette œuvre est dur et demande pour être appréhendé une patience, une attention et une force profondes. La justesse du résultat est aussi déconcertante qu’époustouflante : la metteuse en scène et les acteur·rice·s semblent s’être approprié le texte et lui rendent ainsi une grande justice.

D’une voix toujours claire qui donne à chaque mot son importance, les comédien·ne·s tracent la sombre spirale de la dépression clinique. On y rencontre l’épuisement, l’espoir et son souffle qui nous fait croire que ça va aller, qu’en se faisant un peu violence, on va retrouver le sourire qui semble si bien accroché au visage des autres.  Ces autres-là et leur frustration de ne rien pouvoir faire à la vue de nos bras encore ensanglantés et le cynisme auquel on s’accroche comme dernière marque de sanité. Je reconnais chacun d’eux, les revois devant moi, familiers – trop familiers. Je me demande si les autres les reconnaissent aussi et salue l’immense courage de la troupe d’oser les incarner. 

Déconstruire l’isolement

Des canapés, une chaise, une table basse et des chemises que l’on ouvre puis que l’on ferme pour changer de personnage. Le décor est simple et la salle est petite. Pourtant, l’espace est si bien exploité que s’articulent pour nous bien plus que les sentiments intimes de la dramaturge. L’une des forces du texte tient dans son ancrage socioculturel et sa satire d’une société occidentale contemporaine surmédicalisée qui veut coûte que coûte soigner les maux qui pourraient ralentir la course effrénée qu’elle nous impose. 

Les listes interminables de médicaments administrés et l’inhumanité des rapports des médecins aux patient·e·s qui nous sont montrés rappellent l’inextricabilité de nos états psychologiques et du contexte politique dans lequel ils se forment. Si la dépression donne un sentiment réel de solitude et d’isolement et le désir de s’y plonger, on nous rappelle que notre appartenance commune à une société malade tisse entre nous et les autres des liens inéluctables. 

Ainsi, c’est de concert que les comédien·ne·s exécutent devant nous ce tour de force. On sent entre elles et eux une écoute attentive qui leur permet d’être tour à tour dans l’ombre et la lumière sans jamais effacer le propos qu’ils·elles incarnent. 


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