La semaine dernière, cet espace a accueilli quelques pensées sur l’autoréflexion et la mise en abyme en littérature. De fait, le temps paraît propice à la discussion d’un sujet ardu, confus, peut-être même effrayant. Il s’agit d’un mot qu’on souffle du bout des lèvres, ou avec une franche dose d’ironie : postmodernisme.
Ardu parce que ce mot est employé dans une variété de disciplines, avec des connotations différentes. En guise de point de départ, on pourrait affirmer qu’il s’agit d’une réaction vis-à-vis des préceptes du modernisme. Confus parce que la définition de ce qui est « moderne », elle aussi, varie selon la géographie et le moment. S’agit-il du médium (de la peinture à la photographie), de la méthode (de la figuration à l’abstraction), du sujet (du mythe classique à la misérable réalité)? Effrayant parce que les œuvres sans repères apparents laissent à qui les contemple cette lancinante impression d’être un idiot flottant dans une mer d’érudits.
Si le bord de la falaise est terrifiant, il n’est pas nécessaire de chuter –seulement de prendre un peu de recul. Le postmodernisme est une réaction au projet du modernisme, à ses grandes idées. L’art moderne s’intéresse au progrès, à l’industrialisation, à la constante opposition entre le rationalisme et l’empirisme. Les courants se succèdent à grande vitesse, les motifs et les textures répondent aux rythmes des machines, les créations font autant écho aux écrits de Kant et de Jung qu’aux découvertes en optique et en physique.
En général, l’éveil du postmodernisme en arts visuels est associé à quelques développements historiques. Le choc de la fin de la Seconde Guerre mondiale en est un. Il aura montré, plus qu’à tout autre moment, le danger des mythes historiques et le côté sombre du progrès. Le développement des télécommunications en est un autre. Il évoque la possibilité d’interagir avec un plus grand éventail de cultures, mais il rappelle aussi que l’industrie n’a pas les mêmes répercussions aux quatre coins du monde.
Qui dit postmodernisme ne dit pas rejet du modernisme –seulement une réorientation du projet artistique. L’artiste voit ses congénères (et lui-même) de façon contradictoire, capables des plus grands projets et de la pire cruauté. Ses œuvres se tournent vers l’extérieur. Elles attaquent la complexité de l’information qui assaille quotidiennement les sens, ainsi que l’explorent Matthew Ritchie et Julie Mehretu. Elles s’intéressent à revisiter l’histoire, à la façon de Kara Walker ou de Takashi Murakami. Elles s’engagent dans un examen critique de son propre métier, de ses assises (authenticité, unicité, expertise), comme avec Marcel Duchamp ou Maurizio Cattelan.
Dans cette optique, les productions de la modernité deviennent un « catalogue d’idées », duquel le créateur tire l’inspiration qui lui permettra d’inscrire un argumentaire dans l’œuvre elle-même. L’artiste fait le pari que non seulement les courants de la modernité, mais l’histoire de l’art elle-même, contiennent des approches stylistiques encapsulant l’esprit d’une époque, d’un endroit.
Cette approche historique de l’analyse d’œuvres suppose donc une certaine connaissance de l’histoire de l’art. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, dans l’optique où le milieu contient son lot de personnages (schizoïdes, fumistes, assassins et j’en passe) et de créations aux destins (volées, camouflées, négligées, oubliées…) plus abracadabrants les uns que les autres.