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Une petite touche de culture urbaine

Le Délit a rencontré Earth Crusher, graffeur montréalais

Le Délit : Tout d’abord, quel est ton blaze [pseudonyme, NDLR]? A‑t-il une signification particulière ?

Earth Crusher : En fait j’ai commencé à graffer sous le pseudonyme de « Dre » sans raison particulière. J’ai ensuite adopté le nom d’«Earth Crusher » dans un but bien précis : celui de nommer un personnage polymorphe que l’on retrouve dans de nombreux travaux que j’ai réalisés et qui représenterait grosso modo le capitalisme. Il est souvent revêtu d’un costume formel, symbole fort d’une norme que l’on retrouve dans toutes les entreprises. Quant à son masque, je trouve que ça lui donne un air un peu ridicule.

LD : Mais pourquoi lui donner cet air ridicule ?

EC : Pour prendre un peu de recul, du moins suffisamment pour pouvoir se moquer de cette société où la cupidité et l’avarice règnent. En fait c’est presque comme une thérapie, ce personnage, comme une contre-attaque face à toutes ces publicités qui ne font que nous laver le cerveau. Il m’est d’ailleurs arrivé de remplacer certains panneaux publicitaires dans le métro montréalais par mes travaux et notamment ce personnage pour tout avouer. Je me suis aussi inspiré du film American Psycho pour construire ce personnage.

LD : Ton premier graffiti ?

EC : C’était chez mes parents il y a quelques années. Un soir j’ai décidé de partir seul à l’aventure près d’un pont que j’avais repéré non loin de la maison. J’étais déjà passionné de peinture et je voulais mêler ça à quelque chose de ludique et nouveau. Le graffiti s’y prêtait parfaitement. Arrivé près du pont, j’ai décidé de dessiner une tête de robot qui, inconsciemment, fut sûrement à l’origine d’«Earth Crusher ».

LD : Y‑a-t-il eu une rencontre déterminante dans ta carrière qui t’a inspiré ?

EC : Lorsque j’étais au Cégep, un de mes professeurs s’intéressait beaucoup au mouvement graffiti et m’a fait découvrir Barry McGee. Je n’ai malheureusement jamais eu la chance de le rencontrer mais ses œuvres m’ont beaucoup apporté. Mis à part ce grand nom, les nombreux artistes qui vivent à Montréal et avec qui je peins me motivent et me poussent à persister dans l’univers du graffiti. Le graffe est fondé sur l’entre-aide, l’échange de conseils et le partage de techniques qui permettent à tous de progresser.

LD : Pourquoi choisir le graffiti comme mode d’expression ?

EC : Le graffiti regroupe vraiment des sensations qui lui sont propres. Déjà, c’est probablement une des formes d’art les plus libres qui existent ; ce qui en fait un bon moyen pour s’exprimer en soi. Les gens passent dans la rue et n’importe qui peut apprécier une œuvre gratuitement et librement. Il y a aussi tout ce qui va avec le graffiti, comme l’adrénaline quand tu peins illégalement, les couleurs, les odeurs, etc… qui en ont fait mon support artistique de prédilection. En plus, personne ne te paie pour faire ce que tu fais. C’est dangereux et pourtant tu le fais. Tous ces facteurs en font son individualité et son caractère extrêmement addictif ! Pour résumer, je pense que l’essence même du graffiti, c’est-à-dire la plus grande liberté lorsqu’il s’agit de peindre associé à cette sensation de rush, en a fait mon mode d’expression favori.

LD : As-tu déjà eu des soucis avec les autorités ? Que penses-tu des lois actuelles à Montréal concernant le graffiti ?

EC : Oui. Comme tout graffeur je pense… La première fois c’était à l’école Jeanne-Mance en plein après-midi. En fait, mes amis et moi pensions que c’était toléré car l’un des murs est complètement couvert de graffitis. En gros, c’était clair que les gens qui venaient ici prenaient leur temps et faisaient quelque chose de bien. Les passants dans la rue passaient et nous demandaient si on avait le droit de graffer ici et on leur disait que oui, il n’y avait pas de problème. Plus tard, une voiture de police s’est arrêtée et nous a interpellés. Très calmement on lui a dit qu’on pensait que c’était légal de peindre ici. Quelques jours plus tard, je devais faire appel à un avocat…
Quant aux lois concernant le graffiti, je suis persuadé qu’elles sont nécessaires. En fait, chaque graffeur à une éthique concernant ce qui peut être peint ou pas. Personnellement je ne vais jamais peindre sur une propriété privée, une voiture ou un commerce. Je vise plutôt les ponts, les vieux murs délabrés. Les endroits qui ne vont pas causer du tort à d’honnêtes citoyens. Cela dit, certains pensent qu’on peut peindre n’importe quoi n’importe où et c’est malheureusement souvent les plus mauvais graffeurs.

LD : Penses-tu que Montréal est une ville qui a beaucoup à offrir dans ce domaine ?

EC : Je pense que c’est une ville géniale. Le monde du graffiti ici est bien représenté et très dynamique. Un autre avantage est que les belles fresques ont tendances à rester et ne sont pas toyées [repeintes, NDLR]. J’ai notamment en tête un super graff qui représentait une machine à sous et qui était là depuis 2001, presque une légende ici ! Malheureusement, les autorités viennent de le recouvrir. C’est vrai que parfois je ne comprends pas pourquoi la ville s’amuse à toyer des fresques, certes illégales, mais vraiment biens. On ferait mieux d’utiliser cet argent et ce temps pour aider les particuliers qui ont réellement besoin d’aide concernant l’enlèvement de graffitis. Sinon, j’ai aussi peint à Toronto, Halifax et Vancouver ; mais je dirais que Montréal est vraiment le hub du graffiti au Canada. Les bombes Montana [marque populaire de bombes de peinture, NDLR] importées passent toutes par Montréal avant d’atterrir dans les mains de graffeurs à travers le pays.


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