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La petite robe noire

Évolution et perspectives

Une mode caractérise une société à un moment de l’Histoire : elles viennent, elle partent. Mais, certains vêtements, « classiques »,  traversent les âges. Considérée aujourd’hui comme un essentiel dans une garde-robe, la petite robe noire  a su rester d’actualité, de l’époque victorienne, aux années folles et  jusqu’à aujourd’hui. Chaque décennie, elle arrive à se renouveler pour représenter la mode et la féminité.
Le Délit mène l’enquête.
 
L’époque victorienne
L’idée de la petite robe noire a émergé dans les années 1920, en opposition aux importantes contraintes sociales, sexuelles et vestimentaires de l’époque victorienne.
Le corset, symbole vestimentaire de l’époque victorienne, était physiquement restreignant. On souffrait, on pleurait. Et seules les femmes avec une taille de guêpe trouvaient leur compte. Les robes de l’époque couvraient tout le corps ; les manches allant jusqu’aux poignets et la jupe jusqu’au sol.
Ce style accessible à tous les milieux socio-économiques permettait de mettre les femmes sur un pied d’égalité. Et même si tout le monde ne pouvait pas se permettre des robes coûteuses, elles pouvaient toujours imiter la silhouette populaire.

Le choix du noir, couleur associée à l’autodiscipline et à la rigueur, est non conventionnel pour une robe. C’est ainsi qu’elle se démarque d’autres vêtements de l’époque. Le noir est traditionnellement porté par  toutes les classes sociales – surtout en temps de deuil – mais, en particulier, par la classe religieuse : les prêtres, les religieuses, les ermites.
L’aristocratie pieuse européenne affectionnait aussi particulièrement cette couleur pour leurs robes, et par une ironie du sort, l’inspiration pour la conception de la petite robe noire vient d’un portrait d’une aristocrate, en robe noire montrant son décolleté, peint en 1884 par le sergent John Singer. Ce tableau, controversé à l’époque, sera une source perpétuelle d’inspiration pour la petite robe noire.

« À la garçonne »
La fin de l’époque victorienne voit l’avènement d’une nouvelle génération de femmes modernes, affranchies, libérées, qui se cherchaient un look, un symbole de leur indépendance. Et, là encore, la robe noire se réinvente pour rester au goût du jour. Avec l’époque de la mode « à la garçonne », les cheveux coupés au carré, les tibias nus, la robe noire se raffraîchit et surtout se rétrécit pour devenir la petite robe que l’on connait.

Coco Chanel
C’est Coco Chanel, la pionnière de la mode garçonne aux perspectives vestimentaires simples, aux bijoux de fantaisie, qui lui a donné ses lettres de noblesses dans un petit croquis du célèbre magazine Vogue en octobre 1926. L’esquisse de Chanel était une révolution, radicalement différente de toutes autres créations de l’époque, et les femmes de l’époque du Jazz l’ont embrassée et vite définie comme une déclaration contre l’ère victorienne.
La petite robe noire symbolise la modernité de l’ère du jazz de plusieurs façons. L’esthétique de Coco Chanel donne une large place aux couleurs neutres et aux silhouettes simples et épurées et aux tissus choquants pour l’époque, tel que le tricot, largement dédié aux sous-vêtement pour hommes.

Zelda Fitzgerald
La petite robe noire de l’époque est ample, pratique, confortable et se porte par toutes. Zelda Fitzgerald, célèbre écrivaine féministe et épouse de l’auteur du célèbre F. Scott Fitzgerald, qui par son image de femme indépendante et fougueuse, embrassant toutes les caractéristiques de l’ère du jazz, ancrera la petite robe noire dans la mode et l’imaginaire moderne.

La « robe-Ford »
La petite robe noire devient par la suite un vêtement pratique. Elle est même surnommée la « Robe Modèle T », en comparaison avec la voiture Modèle T de Ford, voiture populaire produite selon le modèle d’assemblage Ford et populaire auprès des masses dans la société d’après-guerre. Avec le crash boursier de 1929 et le début de la Grande Dépression, quand l’étalage de richesse était la petite robe noire, en raison de sa simplicité et de son faible coût de fabrication, reste à la mode. À l’aube de la guerre froide, la petite robe noire se refait séduisante. Dans le film « noir » des années 1940 de Charles Vidor, Gilda, Rita Hayworth, révolutionne le port de la petite robe noire et marque à jamais l’imaginaire populaire.
Dans une petite robe noire inspirée du portrait du sergent John Singer, avec un bustier décolleté et en satin qui accentue les formes de Hayworth, une nouvelle image naît : la femme fatale. Mystérieuse et séduisante, la femme fatale met en avant pour la première fois son charme et son attrait sexuel.

Les femmes fatales
Les femmes fatales des années 40 se font plus conservatrices à l’aube des années 50. Elles reflètent  la période d’optimisme et de stabilité et la création d’un nouvel idéal du rêve américain.

Breakfast at Tiffany’s
Audrey Hepburn, dans Breakfast at Tiffany’s, redessine la robe noire, la rendant séduisante et mystérieuse, mais surtout élégante. Hepburn, avec l’aide du couturier Hubert de Givenchy, conçoit les deux robes noires emblématiques portées dans le film : la première, élégante silhouette droite, et la seconde simple et noire . Hepburn, la seule femme qui ne porte pas une robe colorée dans un film des années 1950, se distingue comme la femme moderne de cette décénnie.
Jackie Kennedy Onassis, l’épouse du 35e président des États-Unis John F. Kennedy, portait des petites robes noires qui mettaient l’accent sur le coté classique et glamour qui caractérise  aujourd’hui les années 1960.

La rupture
La petite robe noire a survécu pendant près de 40 ans jusqu’à la décennie des années 1970, où  toutes les cultures des époques précédentes ont été rejetées : le style punk allie le cuir et le PVC, est coupé « à la main » et le plus souvent comporte des épingles à nourrice. Le mouvement hippie, en revanche, a préféré des modèles plus dynamiques, avec une silhouette radicalement différente de celle des punks : c’était long, bohème et, le plus souvent, le dos nu.

Donna Karan
Dans les années 1980, les concepteurs s’inspirent des décennies précédentes. Par exemple, la créatrice de mode Donna Karan a voulu revenir à la simplicité et l’élégance de la robe noire originale. Lorsque son employeur, Anne Klein, refuse de revenir à une conception plus simple, Karan quitte la maison de couture et lance son propre label : Seven Easy Pieces. Sa conception originale était une robe portefeuille qui s’arrête au niveau du genou, faite d’un tissu crêpe.
Celle-ci  permettait aux femmes de montrer leurs courbes tout en étant assez conservatrice pour être portée dans un milieu professionnel.
Elles assuraient confort et rigueur et représentaient une agréable alternative au tailleur.  Sa collection a eu beaucoup de succès : comme Coco Chanel qui a sauvé les femmes des robes contraignantes de l’époque victorienne, Karan créée le nouvel uniforme pour la femme moderne et active.
Aujourd’hui
La petite robe noire a été portée par des icônes et des célébrités de styles différents tout au long du 20e  siècle et est capable de représenter des images fortes et symboliques pour la féminité de chaque décennie.
Aujourd’hui, la petite robe noire est encore portée avec plus ou moins d’accessoires qui permettent de faire ressortir les personnalités de chacune.
On en voit dans le milieu de la mode : les défilés pour le printemps 2013, vus en septembre à Paris et Milan, exposent encore des petites robes noires sur les podiums. Des créateurs comme Alber Elbaz pour Lanvin, Peter Dundas pour Emilio Pucci et Roberto Cavalli pour Just Cavalli en ont créées qui incarnent l’esprit de leur maison de couture, chacune à leur façon.

La « PRN » à McGill !
Cependant, elles sont aussi présentes au quotidien : sur le campus, dans la rue, au supermarché ou en classes, les petites robes noires sont là. Quelques étudiants, interrogés au hasard des couloirs de l’Université partagent : « Avec ça, je suis sûre de ne pas me tromper quand je vais rencontrer des gens » (Alexandra, U2 en Géographie), « J’en ai bien 6 ou 7 ! » (Claire, U1, Développement international), « C’était ma robe de grad, j’avoue…» (Marie, U3, Sciences Politiques).
On retrouve aussi la petite robe noire dans d’autres branches de l’industrie du luxe : Gerlain en fit un parfum en 2008. Depuis ce printemps, on peut acheter cette fragrance dans toutes les parfumeries et ainsi perpétuer le mythe de ce vêtement qui sera toujours sur le devant des vitrines.
Le blog de modèle « référence » de la mode à l’Université CollegeFashionista donne quelques conseils pour le choix de la robe : ajustée à la taille, empilée avec d’autres vêtements et accessoirisée !
Voilà qui caractériserait notre décennie ? x

 

 

 

| Le Délit



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