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Briser son vœu d’abstention

Éditorial.

Luce Engérant | Le Délit

Un vieux monsieur —Socrate, pour ceux qui n’ouvrent pas autant de livres qu’ils ne l’ouvrent sur Facebook — a dit : « rien n’est trop difficile pour la jeunesse ». Il semblerait que s’enregistrer sur les listes électorales et cocher un bulletin de vote soit tout de même fort complexe pour un grand nombre d’entre nous.

Flemme démocratique ?

Moins de 40% des jeunes entre 18 et 24 ans ont voté lors des dernières élections fédérales en 2011. C’est tendre la perche et rendre la critique d’une facilité inouïe pour les médias, pour les politiques et pour les quelques vieillards bien heureux de pouvoir taper sur ces jeunes qui ont encore le fémur résistant. On nous dépeint comme des êtres mous et égocentriques (ô fameuse allégorie de la jeunesse!), désintéressés, immatures, inconscients des enjeux du pays. « Un suicide politique » selon nos ainés les plus sévères.

Quel coup on nous assène là ! Nous, grands de demain, utopistes activistes, révoltés de chaque matins, toujours en ligne de front lorsqu’il s’agit de manifester. Le printemps érable, le combat contre l’austérité, les semaines activistes sur le campus, le journalisme étudiant… ne sont-ce donc pas là des preuves que le jeune est engagé, qu’il est impliqué dans la grande cité canadienne ?

Chantal St-Onge, candidate du Bloc Québécois, l’admet en entrevue avec Le Délit : ce n’est pas la jeunesse qui s’éloigne de la politique, c’est cette dernière qui n’avance pas avec elle (p. 12).

Néanmoins il faut admettre que quand vient le temps du dépouillage, la jeunesse ne fait plus entendre ses voix. Le mode de participation classique du scrutin n’est plus son moyen d’expression de prédilection.

Loin des urnes, loin du cœur 

Les 18–25 ans sont des acteurs politiques, mais pas assez au niveau électoral. Pourquoi fuir les bureaux de vote de la sorte ?

Première cause apparente, le manque de temps et les difficultés logistiques pour voter dans sa province. McGill y remédie en installant trois bureaux de vote pour un scrutin spécial cette semaine sur le campus (p. 5). 

La désertion des bureaux de votes par la nouvelle génération s’explique aussi par le manque d’informations objectives. Comment faire un choix de vote réfléchi quand nos sources d’information se résument à des articles de politique prétentieusement complexes, à des publications ultra-orientées sur les réseaux sociaux, et aux dialogues de sourds présentés lors des débats télévisuels ? Même les plateformes internet de certains partis ne présentent pas clairement un programme fédéral de campagne.

Ce fut ici notre première motivation : présenter les enjeux de ces élections par des articles d’enquête et d’opinion, expliquer la position des différents partis par des entrevues avec les candidats, et encourager les étudiants à voter.

Dernier argument pour l’abstention par les plus pessimistes, déjà vieux dans leurs cœurs de par leur rationalisme politique : dire que les élections sont déjà faites. « À quoi bon voter si nos voix ne sont pas représentées proportionnellement par ce système électoral déséquilibré ? Pourquoi remplir ce formulaire Élections Canada s’il faudra se résigner au vote stratégique plutôt qu’au vote d’opinion ? Voter, n’est-ce pas accepter que notre gouvernement ne représente souvent qu’une fausse majorité ? Quel intérêt si les programmes politiques liés à la jeunesse ne sont que des propositions d’arrière-plan peu concrètes ? » 

Les observations sont véridiques, mais la conclusion est la mauvaise. Le système électoral canadien a ses défauts, chacun des candidats aussi ; mais cela ne démontre en aucun cas l’intérêt vertueux de l’abstention.

Les élections comme nos manifestations printanières reposent sur une même stratégie : la force du nombre pour donner un poids à sa cause. Les 18–35 ans représentent 8 millions d’électeurs, soit un tiers de l’électorat canadien. Si ceux-ci votaient en masse, il est assez certain que les futurs programmes politiques s’adresseraient d’autant plus aux enjeux de la jeunesse. Face à notre poids dans la balance électorale, de solides propositions pour l’emploi des jeunes seraient une obligation stratégique pour tout parti. 

Alors, jeunesse lève-toi, et descend dans les urnes.

Luce Engérant | Le Délit

(Les opinions exprimées dans nos pages ne représentent pas nécessairement les points de vue de l’équipe éditoriale.)


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