« Souvenez-vous que vous êtes de ce monde, des étoiles, des rochers, de l’eau, de la terre et du ciel. Vous êtes le remède dont vous avez besoin ». Cette citation est inscrite sur les murs de l’exposition de Kent Monkman au Musée des beaux-arts de Montréal. Intitulée L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs, cette dernière agit précisément comme ce remède – une guérison symbolique appliquée à une mémoire tourmentée, celle de la colonisation d’un continent et d’un peuple.
L’artiste bispirituel et membre de l’ocêkwi sîpiy, Nation crie de Fisher River au Manitoba, y renverse les récits historiques de la colonisation pour recentrer la perspective autochtone. À travers des toiles monumentales, Monkman nous rappelle que l’histoire n’est jamais neutre. Elle est écrite, peinte, racontée par ceux qui détiennent le pouvoir – et souvent au prix du silence des peuples autochtones de l’île de la Tortue. Là où la peinture de paysage nord-américaine a longtemps glorifié les vastes territoires « découverts » et conquis, Monkman réinscrit la présence humaine, les vies effacées, les résistances oubliées. Ses tableaux proposent de nouvelles façons d’envisager le passé et d’informer le présent.
Miss Chief Eagle Testickle
Pour nous guider à travers ce processus de réécriture de l’histoire, Monkman nous présente son alter ego, Miss Chief Eagle Testickle – être surnaturel métamorphe capable de voyager dans le temps. Personnage au genre fluide, Miss Chief incarne une dimension essentielle des identités autochtones de l’île de la Tortue, longtemps réprimée par l’oppression occidentale : la pluralité de genres, des sexualités et des liens de parenté. Dans Artiste et modèle (2012), Monkman propose une inversion des rapports de domination entre artiste occidental et modèle autochtone. Miss Chief y reprend le contrôle créatif et le photographe, dans la pose classique de Saint Sébastien – mains liées et corps transpercé de flèches – devient un sujet passif, érotisé.
Perché sur ses Louboutins, le personnage bouleverse les codes de la peinture d’histoire européenne en y insérant des références contemporaines. Son caractère anachronique, empreint d’ironie et de provocation, incarne la résilience autochtone à travers les époques et nous rappelle que déconstruire l’histoire officielle est un processus continu – une responsabilité commune, un dialogue auquel l’audience est elle aussi conviée. Dans Le chant d’adieu (2024), le regard perçant des enfants d’un pensionnat en Saskatchewan, obligés d’assister à la pendaison de huit hommes cris et assiniboines, renvoie au spectateur sa propre responsabilité.

Un travail collectif, une mémoire partagée
Certaines des peintures sont gigantesques. On les regarde des minutes durant, découvrant et redécouvrant à chaque détour du regard un nouveau micro-détail saisissant : une croix, un rat, un tatouage. Et pour offrir une telle expérience visuelle dans chacun des quelque quarante tableaux exposés, Monkman a mobilisé une équipe de peintres. L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs est l’aboutissement d’une réflexion à plusieurs voix sur ce que signifie raconter – et se réapproprier – l’Histoire.
L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs est exposée jusqu’au 8 mars 2026 et l’entrée au Musée des beaux-arts de Montréal est gratuite pour les moins de 26 ans.
Le Délit vous propose un avant-goût de l’exposition
Crédit : Kent Monkman, Musée des Beaux-arts de Montréal









