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Au Texas, le vote latino pèse désormais trois fois moins que le vote blanc

Le redécoupage électoral : entre légalité et manipulation démocratique.

Eileen Davidson | Le Délit

Redessiner les circonscriptions électorales pour s’assurer une victoire aux prochaines élections : c’est la stratégie adoptée le mois dernier par le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, sous l’impulsion de Donald Trump. Ce procédé, connu sous le nom de gerrymandering ou « charcutage électoral », remet en cause la juste représentation des électeurs et devrait offrir aux républicains entre trois et cinq sièges supplémentaires à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de novembre 2026.

Mais qu’est-ce que le charcutage électoral ? Est-ce une pratique légale et courante aux États-Unis ? Pour comprendre ce phénomène, Le Délit s’est entretenu avec Benjamin Forest, professeur associé au département de géographie et de science politique à McGill. 

Rendre « inutiles » les voix du parti adverse

Aux États-Unis comme au Canada, les représentants politiques sont élus selon le modèle des circonscriptions. Le traçage de ces dernières – dont la responsabilité revient aux états – est déterminé par un certain nombre de règles assurant une juste représentation des citoyens : « les circonscriptions doivent par exemple avoir des populations relativement égales, et être contiguës (tdlr) », explique le professeur. 

Le charcutage électoral, donc, consiste à « jouer avec ces règles en identifiant la localisation des électeurs du parti opposé, et créer des circonscriptions offrant naturellement une majorité aux prochaines élections ».

Il existe deux stratégies de charcutage, « l’empaquetage » et le « craquage ». « L’empaquetage correspond à concentrer les sympathisants du parti adverse dans une seule circonscription, explique le professeur. Si cela leur assure de gagner la circonscription avec une très haute avance, cela crée beaucoup de voix dites « perdues », qui auraient pu permettre de gagner une deuxième circonscription ». Pour obtenir une majorité, il suffit seulement d’avoir 50% des votes, plus une voix. Les voix supplémentaires n’affectent plus le vote : qu’un parti ait 51% ou 99% des voix, il ne recevra qu’un siège dans la circonscription. 

Le craquage, poursuit le professeur, est l’inverse : « C’est diluer les voix du parti adverse dans d’autres circonscriptions, ne leur permettant pas d’atteindre la majorité pour gagner ». Dans les deux cas, si le charcutage est efficacement réalisé, il diminue significativement le poids du vote des sympathisants du parti adverse : leurs votes sont tout bonnement inutiles. 

Une pratique légale

Le découpage électoral est historiquement encadré par le « Voting Rights Act » de 1965. Le professeur explique que « cette loi interdit notamment tout charcutage racial, c’est-à-dire discriminant et atténuant le poids électoral des minorités raciales et ethniques aux États-Unis. En revanche, elle n’impose pas de restrictions sur le charcutage partisan – favorisant un parti aux dépens de l’autre ».

L’histoire montre néanmoins une forte corrélation entre vote « racial » et vote « partisan » aux États-Unis, rendant floue la frontière légale entre les deux. 

Au Texas, par exemple, le projet de redécoupage des circonscriptions diminuera fortement le poids électoral des minorités latinos et noires : la « valeur » du vote d’un Texan latino est désormais réduite à un tiers de celle d’un Texan blanc, et celle d’un Texan noir à un cinquième.

Un phénomène qui va s’accentuer

Même si le redécoupage électoral ne date pas d’hier, Forest estime qu’il y a eu une augmentation de la pratique au cours des dernières décennies : « Avant les années 1990, le charcutage électoral était une opération complexe, exigeant de nombreux calculs et un temps considérable. Les données démographiques disponibles n’étaient quant à elle actualisées qu’une fois par décennie à la suite des recensements de population ».

À partir des années 2000, l’arrivée des technologies SIG (système d’information géographique) et des ordinateurs modernes a changé la donne : « Aujourd’hui, on peut découper des circonscriptions avec n’importe quel ordinateur portable, et les données démographiques sont bien plus précises. Les états peuvent redessiner leurs circonscriptions aussi fréquemment qu’ils le souhaitent. Il n’y a aucune raison de penser qu’ils ne vont pas redécouper pour l’élection de 2028, puis à nouveau pour celle de 2030. »

À la suite de l’annonce de redécoupage électoral du gouverneur du Texas, plusieurs gouverneurs d’états, dont Gavin Newsom et Kathy Hochul, ont annoncé entamer des procédures similaires dans leurs états, afin de « répondre » à la procédure texane.

« Il est clair que nous sommes dans une guerre de redécoupage électoral », explique le professeur. Une guerre qui, quoi qu’il arrive, endommagera la juste représentation des électeurs américains sur le long terme.


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