Aller au contenu

Allô, au feu !

Entrevue avec un pompier de la grande région de Montréal.

Alexandre Gontier | Le Délit

La nuit, on aimerait que le feu reste dans les briquets ou sous la plaque chauffante de la cuisine. Mais une main alcoolisée qui allume sa cigarette suffit pour mettre de l’huile sur le feu et causer un incendie. Les seuls qui peuvent remédier à cette perte de contrôle sont les pompiers, quelle que soit l’heure à laquelle on les sollicite. Cette semaine, j’ai eu la chance de m’entretenir avec un homme qui vit au son des alarmes et toujours sur un pied d’alerte, car l’urgence peut appeler à toute heure du jour ou de la nuit. Voici son expérience.

Le Délit (LD)Qu’est-ce qu’il y a exactement dans une caserne ? Avez-vous un poteau en métal comme dans les films ?

Pompier (P) : Une caserne, c’est comme une maison adaptée avec des camions, des espaces pour les outils, des espaces de décontamination et des laveuses industrielles. Généralement, en bas, on trouve un garage pour les camions, des casiers, des toilettes et des douches. Les douches sont généralement en bas parce qu’en cas de contamination, il faut se laver avant d’aller au deuxième étage. Si la caserne a un seul étage, elle sera séparée entre une aire de travail et une aire de repos. Dans l’aire de repos, il y a une cuisine standard avec un four, un frigo et un garde-manger. Et oui, on a vraiment un poteau en métal ! Je dirais même que c’est plus sécuritaire d’utiliser le poteau que l’escalier pour descendre, car si on est pressé, on a moins de chances de tomber ou de se fouler la cheville.

LD : Combien d’appels recevez-vous généralement dans une journée ?

P : Ça dépend généralement des secteurs, de l’évolution de la population et de la construction, parce que plus il y a de gens, plus il y a de chances qu’il y ait des feux et des accidents. Il y a des journées où on n’a pas d’appel, mais c’est assez rare. On a tout le temps à peu près le même nombre d’appels par année. Donc si une journée on n’a pas eu d’appel, une autre journée on en aura plus que la moyenne, ça s’équilibre toujours. Une caserne moyenne peut recevoir six à sept appels en 24 heures. Et ça peut aller jusqu’à 30 appels. Mais il faut aussi prendre en considération les appels d’alarme. Un appel d’alarme, ça veut dire que ce n’est pas une personne qui appelle pour dire qu’il y a un feu chez elle, mais bien un système de sécurité qui se déclenche. Ça arrive qu’on vienne en soutien à d’autres secteurs pour une alarme, et qu’avant même d’arriver sur les lieux, on découvre que c’est une fausse alarme et qu’il faut faire demi-tour. Ça compte tout de même comme un appel.

LD : À quoi ressemble une journée régulière dans la vie d’un pompier ?

P : La première chose qu’il faut savoir, c’est qu’on travaille des journées de 24 heures consécutives, généralement deux fois par semaine. On commence donc vers sept heures du matin et on termine à la même heure le lendemain. En réalité, on arrive toujours entre 30 à 40 minutes à l’avance pour vérifier notre matériel personnel : les masques, la salopette, le manteau. Sur le camion, on vérifie aussi la bombonne d’air parce qu’on ne veut pas entrer dans un bâtiment et découvrir qu’elle est défectueuse. Ça peut prendre environ une heure. Quelques fois par semaine, on doit aussi faire un inventaire rigoureux qui peut prendre jusqu’à deux heures. Le chauffeur, lui, doit faire un examen visuel du véhicule avant de vérifier le système de freins, la direction, les roues, etc.

LD : Quelle idée reçue fausse se fait-on souvent de votre travail ?

P : Quand on pense aux pompiers, on pense souvent aux émissions à la télé. Mais la vérité est que, dans un feu, généralement, on ne voit rien. De façon générale, lorsqu’on arrive dans une maison, la fumée ne sort pas, elle s’accumule à l’intérieur. Au début, la fumée monte au plafond. Ensuite, elle s’accumule là-bas et elle descend jusqu’au plancher. Il peut donc faire vraiment noir à notre arrivée. Après, notre uniforme est anti-flammes, mais seulement pour quelques secondes, pour nous donner le temps de réagir. Il va résister à une haute chaleur, oui, mais il ne peut pas résister à un feu de longue durée.

« Ce qui reste le plus difficile, c’est de voir la réaction des proches et des amis des victimes que nous n’avons pas pu sauver »

LD : Et vous faites comment pour vous déplacer ?

P : On se fie aux murs et au tuyau d’eau qui est connecté au camion. On tient toujours le tuyau d’une main, on ne le lâche pas. Si jamais on tombe du plancher jusqu’au sous-sol, si on a une main sur le tuyau, on sera capable de revenir à notre camion dehors. Sinon, on a aussi une caméra thermique qui nous indique les différents points de chaleur. Le pompier qui a la caméra sera donc en mesure de faire une vérification rapide : est-ce qu’on peut voir quelqu’un couché à terre ? La chaleur provient d’où principalement ? Mais la pire erreur qu’on puisse faire, c’est de suivre la caméra thermique sans suivre le mur et sans suivre le jet d’eau. Parce qu’en huit pas, on peut être complètement désorienté. La dernière chose importante à noter est qu’on ne rentre jamais tout seul.

LD : Quels sont les traits de personnalité nécessaires pour devenir pompier ?

P : Oh, il y en a beaucoup ! Pour t’en citer quelques-uns, je dirais que le travail d’équipe, c’est important. Se soucier de ceux avec lesquels on vit – autant sur un appel que dans la caserne. À la caserne, on est comme une famille, et s’il y en a un qui n’en fait qu’à sa tête, ça peut causer des frictions. C’est important d’avoir une bonne communication avec les autres. Il faut aimer aider les autres, avoir une bonne tolérance physique au froid, au chaud, à la fatigue, et être capable de supporter de longues heures sans manger, par exemple. Il faut être prêt à faire des sacrifices : s’il fait ‑30°C et qu’il y a un incendie majeur, on ne va pas aller se réchauffer les mains ! Il faut savoir se détacher de ses besoins personnels pour le besoin des autres parce que sinon, les autres vont travailler en double à notre place. Il faut que tout le monde persévère même quand c’est difficile. Et finalement, je dirais qu’il faut avoir une grande force psychologique.

LD : Quel est votre appel ou expérience la plus difficile sur le terrain ?

P : Je n’irai pas trop dans les détails, mais je dirais que c’est quand il y a un décès. Vu que nous sommes les premiers répondants, des accidents de véhicules, des gens noyés ou des personnes qui font un malaise cardiaque chez elles, ça arrive assez souvent qu’on en soit témoin. Et même dans un incendie, ça nous arrive de voir des morts. Les gens vont généralement mourir par intoxication à cause de la fumée : en deux ou trois minutes, ils sont déjà inconscients. C’est sûr que ça choque, surtout au début. Par contre, ce qui reste le plus difficile, c’est de voir la réaction des proches et des amis des victimes que nous n’avons pas pu sauver.

LD : Est-ce que vous avez quelqu’un qui vous soutient dans ces expériences difficiles ?

P : Il y a des lignes téléphoniques qu’on peut contacter. Tous les employés des services d’urgence ont accès à ces numéros-là. Mais de façon générale, ce qui aide vraiment, c’est l’esprit de caserne. Ce qui va régler un problème à 90%, c’est d’être avec l’équipe après un appel. On en discute, on décompresse. Si je parle de l’événement avec quelqu’un qui ne l’a pas vécu, la personne a beau essayer de comprendre, elle ne comprendra pas complètement.

LD : Vu que vous travaillez 24 heures consécutives : est-ce que vous trouvez qu’il y a des différences entre le jour et la nuit en poste ?

P : La nuit, quand ça sonne, on saute hors du lit. C’est comme si tu te réveillais chez toi en plein milieu de la nuit parce que quelqu’un est en train de cogner fort à ta porte. Notre cœur, il bat comme ça chaque fois qu’il y a un appel. À long terme, ce n’est pas bon pour notre santé parce qu’on n’est pas supposé avoir des si grandes fluctuations de rythme cardiaque à répétition. Mais la nuit aussi, on n’aura pas de formation ni d’inventaire à faire. On peut se reposer si on en ressent le besoin.

LD : Si ce style de vie peut être mauvais pour la santé à long terme, est-ce que les pompiers prennent leur retraite plus tôt généralement ?

P : Généralement, les pompiers servent une trentaine d’années. En termes d’âge, je dirais que la limite est environ 55 ans, pas parce que la loi l’oblige, mais plutôt parce que passé un certain âge, l’effort physique que l’emploi requiert devient trop difficile. Les chauffeurs peuvent faire un peu moins d’effort physique, mais il y a un minimum qu’ils doivent être capables d’endurer.

LD : Quel est l’appel le plus drôle que vous avez eu ?

P : Parfois, il arrive que quelqu’un nous appelle parce qu’il voit des flammes dans un bâtiment, mais finalement ce n’est que le reflet d’un lampadaire dans une fenêtre. Il faut comprendre que tout appel est pris au sérieux. La personne à la répartition ne peut pas se permettre de juger si c’est vrai ou pas, mais des fois ça résulte en des appels comme celui-ci. Des appels non fondés, il y en a partout.

LD : Quelle est une pièce d’équipement que vous avez et qui pourrait impressionner le public ?

P : C’est une bonne question. Je dirais les coussins de sauvetage. C’est un grand coussin qui se gonfle et qui permet à une personne de sauter d’une certaine hauteur, disons d’un balcon, en toute sécurité. Ça fonctionne aussi lorsqu’une personne menace de sauter d’un édifice. Une fois que la personne entre en contact avec ce coussin, l’air s’évacue et amortit l’impact.

LD : Pour finir, quelle est votre plus grande fierté ?

P : Ce n’est pas relié à un feu de bâtiment, mais je dirais que c’est de réanimer quelqu’un, quand on fait un massage et qu’on donne un choc, et que la personne reprend conscience. C’est la chose la plus gratifiante parce qu’on est directement responsable d’avoir sauvé la vie de cette personne.


Dans la même édition