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Arrêtons de blâmer les victimes

Sexual Misconduct of the Middle Classes au Théâtre Centaur.

Marie Prince | Le Délit

Je n’avais jamais eu un intérêt particulier pour le théâtre ; je préférais lire un livre, ou aller au musée. Toutefois, le titre de cette pièce m’a intriguée. Sexual Misconduct of the Middle Classes, jouée au Théâtre Centaur du 8 au 27 novembre 2022, écrite par Hannah Moscovitch, remet en question les idées préconçues sur le consentement dans une ère post #MeToo. Elle explore la relation amoureuse entre Jon Macklem, un professeur d’université trois fois divorcé, et Annie, son étudiante de première année.

Cette dernière, qui a lu tous ses livres, éprouve beaucoup d’admiration envers l’auteur. Encore en pleine phase de découverte de soi, elle voit en lui une figure d’autorité plus âgée, qui pourrait la guider dans le monde adulte.

Les personnages jouent dangereusement avec la frontière entre relation amoureuse et abus de pouvoir ; Jon est tantôt amant, tantôt éditeur. Je me surprenais en train de penser : « Laisse-la tranquille ! Elle n’a que dix-neuf ans ! » Jon n’est pas présenté comme un prédateur stéréotypé : ses pensées, dévoilées au public, révèlent qu’il est attiré envers elle en tant que personne à part entière. La pièce nous présente une situation d’abus sexuel dans toute sa complexité, sans mettre les émotions et la possibilité d’une relation amoureuse de côté.

Le public assiste à la détérioration psychologique des deux personnages à travers leurs actions et non pas leurs paroles. Jon, rongé par la peur que sa relation illicite soit dévoilée, essaie de dissimuler ses rendez-vous avec Annie, jusqu’au point où il ne veut plus l’accueillir chez lui, mais dans une chambre d’hôtel. Annie, qui ne vit pas une relation amoureuse « typique », se présente de plus en plus comme un objet sexuel, conçu pour plaire à Jon. Son hésitation et son innocence sont remplacées par une froideur mécanique. Elle enlève ses vêtements méthodiquement, démontrant qu’elle veut en finir et retourner chez elle. Ses gestes ont provoqué une réflexion pour le personnage quelques années plus tard : soit, même si Annie est une adulte consentante à cette relation, son partenaire est une figure d’autorité plus âgée qu’elle. Même si Jon n’a jamais eu l’intention d’exploiter sa vulnérabilité, Annie est une jeune femme impressionnable. Elle ferait n’importe quoi pour que son auteur préféré la remarque. Sachant qu’elle l’admire, ne serait-ce pas plus bénéfique pour Jon d’être son mentor et non son amoureux ? L’hésitation et le manque de confiance d’Annie se dissipent au fur et à mesure de la pièce. À la fin de la pièce, elle devient plus confiante, ayant travaillé sur ses insécurités, capable de finalement analyser cette relation. La mise en abyme dévoilée à la fin permet à Annie de reprendre son agentivité et de finalement se libérer de son passé.

Eda Holmes met en scène cette pièce de théâtre dans un décor simple. Afin de ne pas sexualiser Annie, les scènes sexuelles sont montrées à travers une chorégraphie simple entre les personnages, reflétant l’intérêt d’Holmes pour la danse, qui choisit la beauté de l’abstrait. Annie n’est pas présentée comme une femme fatale ; elle n’est pas considérée comme aussi coupable que Jon. À son âge, celle-ci ne possède pas les capacités de discernement lui permettant de comprendre pourquoi sa relation avec son professeur présente un risque. Jon, l’adulte, a décidé d’entreprendre une relation amoureuse avec son élève. Cela s’accorde avec les revendications du mouvement #MeToo, qui souhaite réhabiliter les victimes des violences à caractère sexuel.


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