En regardant les parties de la Série mondiale cette semaine, j’ai remarqué un curieux paradoxe. Pendant les pauses publicitaires, Pepsi affichait fièrement sa boisson iconique, contenant une quantité astronomique de sucre par canette : 41 grammes ! Durant les rencontres, c’était au tour des publicités Ozempic d’être visibles derrière le marbre. Voici donc un face à face de deux titans, acteurs omniprésents dans le discours sur l’obésité, chacun occupant un rôle distinct : le premier aggrave le problème, l’autre promet d’y remédier. L’obésité est un enjeu qui concerne la population entière, affectant autant les enfants que les adultes.
D’après un rapport publié par l’UNICEF, une division de l’ONU dédiée à la protection des enfants, l’année 2025 marque un tournant dans l’obésité infantile : pour la première fois, la forme dominante de malnutrition chez les jeunes est désormais l’obésité, éclipsant l’insuffisance pondérale. Aujourd’hui, dans la tranche d’âge des 5 à 19 ans, un jeune sur cinq est en situation de surpoids, un chiffre qui a doublé depuis le début du millénaire. Ce constat choquant démontre l’aboutissement d’une tendance échelonnée sur plusieurs décennies (voir le tableau ci-bas), et démontre un problème qui est de plus en plus mondialisé. L’agence onusienne ne propose pas de solution miracle dans cette lutte sur plusieurs fronts. Les génétiques partagées, les modes de vie (voir l’article de Timotée Allouch-Chantepie en page 4) et les facteurs de risques environnementaux sont tous des déterminants clés de l’obésité.

Tendances des pourcentages d’enfants et d’adolescents âgés de 5 a 19 ans
Le rôle du marketing
L’une des causes de cette montée fulgurante de l’obésité infantile, selon l’UNICEF, est la dégradation de l’environnement alimentaire (l’endroit où les enfants mangent, vivent, apprennent, et jouent) à cause de l’industrie des boissons et des aliments ultra-transformés. « Il y a une accessibilité accrue et un marketing actif des aliments très caloriques en sucre et en sels (tdlr) », explique la Dre Kaberi Dasgupta, professeure à l’Université McGill et spécialiste de la recherche sur le diabète. D’après le rapport, cela se manifeste par des pratiques marketing qui contournent habilement les réglementations déjà jugées insuffisantes par les gouvernements.
Prenons le cas du marketing numérique, auquel les enfants sont le plus exposés. Ici, la distinction entre contenu et publicité est souvent brouillée, et la supervision parentale, minime. En ajoutant le fait que les enfants ont des cerveaux encore en développement, force est d’admettre qu’ils n’ont tout simplement pas toujours la capacité cognitive de distinguer l’information objective de la publicité corporative. Certains pays, tels que l’Angleterre, espèrent diminuer cette influence en misant sur une réglementation plus stricte. Depuis le 1er octobre, les publicités faisant la promotion d’aliments et de boissons jugées malsaines sont interdites sur les plateformes numériques et à la télévision avant neuf heures du soir. Une mesure louable, dont seul l’avenir pourra révéler l’efficacité.
Insécurité alimentaire
À travers le monde, la lutte contre l’obésité infantile varie en fonction du contexte socio-économique du pays. Dans les pays en voie de développement, ce sont les populations autrement aisées les plus susceptibles d’être affectées par cette forme de malnutrition. Cependant, on observe l’inverse dans les pays à plus haut revenu, alors que les milieux défavorisés sont davantage touchés. Au Canada, ce cas devient un sujet d’actualité lorsque l’on prend en compte que l’insécurité alimentaire est en hausse – un enjeu étroitement lié à l’obésité d’après la Dre Dasgupta. « Partout au Canada, surtout depuis la pandémie, environ 25 % des foyers sont en situation d’insécurité alimentaire », souligne la Dre Dasgupta. « Ce n’est pas anodin ».
« Si vous allez dans une épicerie dans le nord du Québec ou dans des communautés isolées, vous constaterez que le coût des aliments sains est très élevé alors que des aliments malsains sont beaucoup moins chers », relève la Dre Dasgupta. Ceci met en lumière l’un des éléments déterminants publiés dans le rapport par l’UNICEF : dans les pays à haut revenu, ce sont les quartiers pauvres qui sont exposés de manière disproportionnée à des aliments et boissons ultra-transformés. Pour les enfants, ces environnements peuvent être particulièrement néfastes. En effet, d’après des études révélées dans le rapport de l’UNICEF, les enfants ont une préférence biologique pour les produits sucrés, surtout lorsqu’on les compare aux adultes.
Pourtant, la Dre Dasgupta va plus loin dans sa démarche. En effet, elle explique que c’est dans le ventre maternel que le métabolisme se forme, entraînant une variabilité d’un enfant à l’autre. « Si on est mal nourri et de faible poids pendant sa grossesse, son bébé se développe alors dans un environnement pauvre en nutriments. Son métabolisme s’adapte dès le ventre maternel pour devenir avide de calories et de sucre », précise-t-elle. « Ensuite, tu prends cette personne qui, dès la naissance, est programmée sur le plan physiologique à retenir les calories, à stocker la graisse et tu la plonges dans un environnement où la restauration rapide domine et où les aliments sains coûtent cher », note la Dre Dasgupta. « Ils vont voir leur poids augmenter beaucoup plus rapidement que quelqu’un dont la mère n’a pas été dans un environnement carencé ».
Intervention clinique
Pour la première fois depuis 2007, le Canada a mis à jour sa ligne directrice clinique concernant les enfants et adolescents qui souffrent de l’obésité. Avec ce renouvellement, de nouvelles priorités ont été établies, notamment en ce qui a trait à la qualité de vie et la santé mentale. Certains jeunes en situation d’obésité et âgés de 13 ans et plus sont maintenant éligibles à une chirurgie. « Une fois que les enfants ont dépassé un certain seuil, s’ils développent déjà des complications liées à leur surpoids, ils peuvent être candidats à des interventions telles que la chirurgie bariatrique », dit la Dre Dasgupta. Elle souligne que ces chirurgies sont des cas d’exception alors qu’il existe d’autres voies de traitements, tels que les régimes alimentaires ou le suivi psychologique.
Difficile de parler de traitements sans évoquer également les agonistes GLP‑1, les médicaments commercialisés sous des noms comme Ozempic et Wegovy. Depuis leur introduction dans le marché, leurs qualités coupe-faim en ont fait la coqueluche du milieu hollywoodien. Chez les enfants, l’adoption de ces traitements progresse plus lentement, leur utilisation étant réservée seulement à ceux âgés de 13 ans et plus. « En ce qui concerne ces nouveaux médicaments, quels en seront les effets à long terme, on ne le sait pas encore. Mais on connaît les effets à long terme de l’excès de poids. Il faut donc trouver un certain équilibre entre les deux », conclut-elle.



