Samedi 18 octobre, New York. Une véritable nuée d’affiches colorés illumine Times Square ; il ne s’agit pas ici des célèbres billboards de la place, mais des milliers de pancartes dressées par les manifestants du mouvement « No Kings » (pas de roi, tdlr) en opposition à Donald Trump. À travers le pays, sept millions d’Américains sont descendus dans les rues pour marquer leur opposition à la politique du 47e président des États-Unis, marquant l’une des plus grandes journées de manifestations de l’histoire étasunienne. Contournements de la constitution, déploiements militaires, ingérence dans la politique locale… Les manifestants avaient de quoi attaquer ce qu’ils estiment être un tournant autoritaire de la démocratie américaine.
« Notre démocratie est en train d’être détruite »
On aurait pu écrire un roman avec les milliers de messages brandis par les plus de cent mille manifestants new-yorkais, inquiets de la trajectoire politique de leur pays. Victoria, travailleuse sociale retraitée, arbore une grande affiche « We, the People » (nous, le peuple) entre les mains. Elle témoigne de cette inquiétude : « Je suis ici, car je suis horrifiée par ce que Trump et ses hommes de main font à notre pays. Je pense que notre démocratie est en train d’être détruite devant nos yeux, et cela me terrifie. »
Cette analyse est partagée par les experts interrogés par Le Délit. Graham G. Dodds, professeur de science politique à l’Université Concordia, nous l’explique : « Il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter. Dès son premier mandat, Trump s’est attaqué à certains des piliers d’une démocratie constitutionnelle : la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, les procédures démocratiques… Tout cela fait partie du mode d’emploi d’un gouvernement autoritaire. »
« Je pense que notre démocratie est en train d’être détruite devant nos yeux, et cela me terrifie »
Victoria, travailleuse sociale retraitée
Dans l’actualité récente, les multiples opérations militaires de la police de l’immigration et des douanes (ICE) visant les immigrés illégaux ont particulièrement ému les manifestants. Parmi les slogans criés par la foule, on pouvait régulièrement entendre « ICE, ICE, go away ! » (ICE, ICE, va-t-en!). Martha et Rémi, mère et fille, sont originaires de Californie, un État particulièrement touché par ces opérations. Elles témoignent : « Le cours actuel des choses est abominable. Les immigrés sont la raison pour laquelle ce pays est ce qu’il est. Sans les immigrants, nous perdrons une partie de ce que nous sommes. »
D’après David Grondin, professeur en communication à l’Université de Montréal, cette émotion est principalement ce que recherche Trump : « Beaucoup de ce qu’il fait est du ressort du spectacle, de la démonstration. Les actions de l’ICE, mais aussi de la garde nationale, visent à intimider, à faire peur. Trump utilise presque l’ICE comme un groupe paramilitaire qui intervient majoritairement dans des villes où il n’y a pas de problème lié à l’immigration pour créer de la résistance et du chaos, qui lui servent ensuite à justifier ses actions. » Deux jours après la manifestation du 18 octobre, l’ICE a mené une opération dans les rues du Chinatown new-yorkais, arrêtant 13 personnes, dont quatre citoyens américains relâchés après 24 h, selon le membre du Congrès des États-Unis, Dan Goldman.
Résister par la rue, par les urnes
Le mouvement « No Kings », malgré sa popularité, peut-il réellement avoir un impact sur le cours de la politique américaine ? Pour les manifestants interrogés par Le Délit, c’est une certitude. D’après Victoria, « lorsque plus de 1 % de la population résiste, elle peut combattre un régime autoritaire. Nous ne céderons pas », conclut-elle en référence à l’hymne du mouvement des droits civiques We Shall Not Be Moved.
Dr Grondin, auteur de travaux sur les mouvements sociaux américains, insiste également sur le potentiel politique du mouvement : « La contestation invalide la tentative d’accroissement du pouvoir par Trump. Le fait qu’il y ait autant de personnes dans les rues, même dans des États où l’on ne s’y attendrait pas, est très parlant. Même si les mouvements sociaux ne rassemblent que rarement la majorité d’une population, ils montrent qu’il n’y a pas d’acceptation et donnent de l’appui aux acteurs politiques d’opposition. »
De nombreux acteurs politiques démocrates, notamment à l’échelle locale, se réclament ainsi de l’opposition à l’administration Trump, comme le gouverneur de Californie Gavin Newsom ou le candidat démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani. Ce dernier se place en adversaire principal au président américain parmi les candidats à la mairie, notamment concernant les activités de l’ICE, et l’a même invité à débattre en face-à-face. Trump, de son côté, a remis en question la citoyenneté américaine du candidat né en Ouganda, le menaçant même de déportation.
Dans les rues de New York, de nombreux manifestants montrent leur soutien à Mamdani, et leur rejet de son principal concurrent, Andrew Cuomo, pour les élections du 4 novembre. D’après Ryan et Rochelle, tous deux volontaires dans la campagne du candidat démocrate : « Cuomo est aligné avec Trump, qui cherche à le faire gagner. Mamdani, lui, n’est pas financé par ceux qui ont aidé Trump à accéder au pouvoir. Il fera tout ce qu’il peut pour le combattre – il a par exemple évoqué d’offrir de l’assistance juridique à des New-Yorkais sur le point d’être déportés. »

Dr Dodds, auteur d’un livre sur le pouvoir exécutif étasunien, est plus sceptique quant à la capacité des élus locaux à faire face à Trump : « Les gouverneurs locaux peuvent résister légalement, notamment lorsque le président tente d’envoyer des troupes dans leur État, mais le président est bien plus puissant qu’eux, ce qui limite leurs options. » Son analyse s’étend au niveau fédéral : « Dans le système américain, il n’y a pas vraiment de leader de l’opposition. Lorsqu’un parti contrôle toutes les branches du gouvernement – l’exécutif et les deux Chambres législatives – cette opposition est fragmentée, et il est dur pour elle de s’organiser. »
La rue et les élus démocrates pourront-ils faire trembler Trump, ou faudra-t-il attendre les élections de mi-mandat, qui auront lieu en 2026, pour peut-être voir un rééquilibrage du pouvoir ? La question reste entière, mais les millions d’Américains présents dans la rue le 18 octobre ont prouvé qu’une opposition nombreuse et engagée se tient prête à tenir tête au président.



