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L’armée canadienne peine à recruter

Un rapport remet à l’ordre du jour un problème persistant.

Toscane Ralaimongo | Le Délit

Coup de tonnerre au sein des Forces armées canadiennes (FAC) : dans un récent rapport de la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, d’importantes failles dans le processus de recrutement ont été révélées. L’audit, réalisé entre le 1er avril 2022 et le 31 mars 2025, porte des conclusions alarmantes : seuls 15 000 recrutements ont été effectués au lieu des 19 700 projetés. C’est près du quart de moins que ce que les FAC avaient prévu. 

« Forts. Fiers. Prêts. » Telle est la devise des Forces armées canadiennes. Forte de ses 94 000 militaires (2024), elle a pour vocation de protéger le Canada et ses intérêts à l’étranger. Participant régulièrement à des exercices conjoints de l’OTAN, les FAC sont reconnues comme un corps militaire moderne et efficace.

Or, selon le rapport, les Forces armées canadiennes risquent de ne plus pouvoir assurer pleinement leur mission. Pour clarifier et analyser cet audit, Le Délit s’est entretenu avec Charlotte Duval-Lantoine, vice-présidente des opérations à Ottawa à l’Institut canadien des affaires mondiales, chercheuse et ancienne étudiante de l’Université McGill. 

Un problème bien connu 

Duval-Lantoine rappelle d’emblée que les difficultés de recrutement ne sont pas nouvelles. Un précédent rapport en 2016 issu de la même vérificatrice générale avait déjà souligné un sous-effectif et des dysfonctionnements dans le système de recrutement des Forces armées canadiennes. 

Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’un problème d’image. « Les Forces armées canadiennes n’ont aucun problème à attirer des candidats », précise Duval-Lantoine. Entre 2022 et 2025, plus de 192 000 personnes ont postulé pour rejoindre l’armée. Pourtant, à peine 14 000 ont effectivement été recrutées. « Ce n’est pas un problème d’attractivité, mais de conversion », résume-t-elle. Les données sont sans équivoque : seuls 6 % des dossiers ont été rejetés pour des enjeux concernant les compétences des candidats. Le véritable obstacle est administratif : le processus, censé durer 100 à 150 jours, en prend en réalité près du double, entre 245 et 271 jours. 

Duval-Lantoine explique ces délais : « Le système informatique repose sur huit plateformes administratives distinctes, décuplant le travail des administrateurs. » Selon elle, les Forces armées canadiennes sont victimes de leur propre succès. Elles attirent mais ne parviennent pas à absorber la masse de candidatures. 

Des causes culturelles et structurelles 

Pour surmonter ces problèmes, la chercheuse prône une réforme structurelle : moderniser les systèmes informatiques, centraliser les processus et impliquer davantage le ministère de la Défense nationale dans les politiques de gestion du personnel. 

Sur le plan culturel, elle déplore un « exceptionnalisme militaire » persistant : « Il existe une méfiance à l’égard de l’expertise civile. Les militaires estiment qu’ils gèrent mieux seuls. » Duval-Lantoine décrit une tendance à ne pas suivre les directions civiles et un rejet d’idées nouvelles. 

En somme, le principal défi des Forces armées canadiennes est clair : parvenir à surmonter la déconnexion entre leurs besoins opérationnels et leurs capacités administratives. Ce problème transcende le seul recrutement, il se matérialise dans un dysfonctionnement structurel où l’institution se fait parfois sa propre ennemie.


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