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L’anthologie des affranchis

Un plongeon dans les archives souverainistes de McGill.

Eloïse Potvin

T

rente ans se sont écoulés depuis le dernier référendum sur l’indépendance québécoise de 1995. Le rôle de l’Université McGill dans l’histoire référendaire est connu comme celui de la forteresse anglo-saxonne gardée de tous côtés par des porte-parole aux élans pro-fédéralistes. Le sentiment canadien à McGill est si fort que 172 professeurs de l’Université quitteront le Québec à cause du climat politique dans les trois années qui suivront le référendum de 1995. Mais les mouvements sociaux souverainistes d’une telle ampleur au Québec ne pouvaient laisser intact ce bastion du « NON », fût-il retranché dans sa tour d’ivoire rougie et défendu par ses preux soldats. Qui ont été ces fantaisistes ayant porté à bout de bras la voix de l’appui au projet indépendantiste au sein des murs mcgillois ? Comment leur discours a‑t-il évolué à travers les différents évènements politiques ? 

Les journaux étudiants semblent être un bassin parfait pour l’analyse des discours étudiants marginaux. Cette enquête tentera donc de parcourir les archives du McGill Daily au cœur même des pages du Délit.

Les balbutiements de la  lutte pour l’indépendance québécoise à McGill étaient guidés par des anglophones inspirés par les mouvements de décolonisation des années 1960. Les premiers articles s’intéressant à l’unilinguisme francophone seront publiés à partir de 1968, sous la direction de Mark Starowicz. Son proche ami Stanley Grey, un anglophone chargé de cours de McGill et membre du comité éditorial du McGill Daily, écrira le 10 février 1969 un article intitulé « McGill and the rape of Quebec » (McGill et le viol du Québec, tdlr) présentant des arguments supportant l’unilinguisme francophone et s’objectant des « 200 ans d’exploitation économique et d’oppression nationale, tdlr » du peuple québécois. Grey mènera aussi la manifestation « Opération McGill français » le 28 mars 1969, regroupant 6 000 à 15 000 personnes issues d’organisations nationalistes, socialistes et étudiantes. Ils réclamaient un « McGill aux Québécois » pour une institution qui ne comptait à l’époque que 7 % d’étudiants francophones. Grey était aussi fondateur d’un groupe qu’il nomme les Students for a Democratic University (SDU). La SDU s’amourachait des scandales, interrompant les réunions du Sénat et de l’Assemblée du Conseil des gouverneurs de cris de « Révolution », « Vive le Québec socialiste » et de « Vive le Québec libre ». Mark Wilson écrira le 17 septembre 1969 dans les pages du **McGill Daily** « L’unilinguisme français dans les écoles est légitime, nécessaire et une demande urgente pour le mouvement de libération du Québec (tdlr) ». Le 29 octobre, à la suite d’une visite de René Lévesque à McGill, un éditorial décrit que le politicien a « un certain charme chez les étudiants de McGill, tdlr ».

En 1970, les enlèvements du Front de la libération du Québec (FLQ) font couler de l’encre dans les pages du McGill Daily. Étonnamment, plusieurs articles dépeignent positivement le FLQ comme un groupe socialiste de gauche agissant contre les élites, qu’elles soient francophones ou anglophones. Ce qui rallie plusieurs anglophones derrière la mission FLQ, c’est justement ce combat socialiste d’extrême gauche : « pour apporter le contrôle local à la population, tdlr », écrit Charles Griffin le 13 octobre. 

Entre 1970 et 1980, plusieurs articles font l’objet de différents enjeux politiques entourant l’indépendance, mais on attendra le 2 avril 1980 pour y voir une réelle mobilisation des membres de la communauté étudiante. Entre les publicités du McGill No Vote Committee de cette édition du McGill Daily, on y trouve une page d’une centaine de signataires, déclarant publiquement leur appui envers le projet référendaire d’une souveraineté-association pour l’État québécois. Ce groupe compose le McGill Referendum Committee, qui agit en organisant des débats sur le campus en invitant des personnages politiques en vogue tels que Pierre-Marc Johnson. Le McGill Daily devient alors à la fois un outil de promotion d’idées et une plateforme de débat écrit, témoignant d’une résistance pro-indépendantiste bien vivante face aux pressions pro-fédéralistes.

L’année 1995, année du deuxième référendum québécois, est marquée dans le journal étudiant par l’apparition d’une nouvelle section éditoriale titrée « La tribune référendaire ». Dans cette section, nombreux furent ceux qui laissèrent leur ferveur souverainiste s’étendre sur les pages.

Inspirés par cet héritage indépendantiste mcgillois, certains étudiants se sont réunis à l’automne 2025 pour créer le Collectif Indépendantiste de McGill. Les sondages scandant la possibilité d’un troisième référendum, ils se donnent pour mission d’offrir un espace de dialogue inclusif et rassembleur à la communauté étudiante pour discuter des enjeux concernant l’indépendance québécoise. Que l’on soit en accord ou en désaccord avec le projet indépendantiste, il est évident que les étudiants sont encore intéressés par cette initiative aux répercussions potentiellement transcendantales.


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