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Du bison, ça se mange ?

L’histoire tumultueuse du roi des prairies : d’une liberté absolue aux fermes d’élevage.

Stu Doré | Le Délit

Bison bison, c’est le nom scientifique du majestueux Bison d’Amérique, qui dominait autrefois l’étendue des terres aux États-Unis et au Canada. Il était le plus grand mammifère terrestre du continent, avec une population se chiffrant en dizaines de millions avant l’arrivée des Européens ; ses migrations causaient même des tremblements de terre au Missouri, bien avant les Harley-Davidson ! Le bison, c’est l’histoire d’une éradication, d’un gros gâchis, et puis d’une réconciliation limitée. Aujourd’hui, plutôt que de profiter des geysers de Yellowstone ou des vastes étendues du parc national Wood Buffalo en Alberta, la plupart des bisons se trouvent en troupeaux d’élevage. Allons à la rencontre de cet animal longtemps pourchassé. 

À première vue, l’image du bison (symbole de liberté, d’insoumission générale aux ordres civils, d’une résilience redoutable) devrait coller parfaitement avec celle des États-Unis. Il a beau être reconnu comme mammifère national du pays, sa reconnaissance par l’État est arrivée bien trop tard. Après la guerre de Sécession, quand il fut temps de construire des rails et d’étaler l’urbanisation vers l’Ouest, le bison faisait obstacle à l’expansion des colons. On ne connaissait pas encore les grèves de la STM, mais les troupeaux de bisons, s’étendant sur plusieurs kilomètres de long, s’avéraient un obstacle de taille pour le transport.

Certes, l’aspect économique a contribué à la chute de leur population. Dans les années 1870, on considérait leur langue comme un mets délicat, et leur cuir comme un produit de valeur. Dès lors, les portes de l’Ouest s’ouvrirent aux chasseurs en quête de fortune. Malheureusement, ce qui a suivi a été une quasi-extinction des bisons sauvages, effaçant 99,9% de leur population. Ce fut un gâchis incalculable : très vite, les seules traces qu’il restait des bisons d’Amérique étaient leurs carcasses en décomposition, souvent laissées presque intactes par les chasseurs. 

Le bison, c’est l’histoire d’une
éradication, d’un gros gâchis, et puis d’une

réconciliation limitée

Et la réponse du gouvernement lorsqu’il fut mis au fait de cette tuerie ? Silence. Il faut rappeler que l’extermination du bison facilitait l’appropriation des terres de l’Ouest, notamment en affaiblissant ces nations autochtones si méprisées par la Maison-Blanche. L’éradication du bison a condamné de nombreuses communautés autochtones à une famine orchestrée, détruisant une symbiose ayant duré près de 10 000 ans. Des Comanches aux Lakotas, des plaines du Sud aux plaines du Nord, tout un mode de vie qui avait misé sur le bison depuis des millénaires a disparu. 

Élevage de bison

Aujourd’hui, après avoir frôlé l’extinction, le bison vit essentiellement dans des fermes d’élevage commerciales destinées à la consommation. Le Québec en compte au moins une vingtaine. Et la viande elle-même ? Elle est réputée pour sa faible matière grasse, sa riche quantité de protéine et son goût plus recherché que d’autres viandes bovines – de quoi mettre les gym bros en liesse. 

Son prix, cependant, révèle un produit haut de gamme. Les conditions d’élevage et la disponibilité sont des facteurs qui contribuent à cette viande, constituant seulement 1% du marché de consommation de viande au Canada. Contrairement à d’autres animaux, le bison peut paraître comme un choix « plus naturel ». En tant qu’espèce indigène, leur présence est bénéfique à l’environnement, aidant la flore et la faune comme elle a pu le faire pour les Prairies pendant si longtemps. Et, similairement à d’autres animaux d’élevage, les bisons du Canada sont élevés sans hormones ni antibiotiques ajoutés à leur alimentation. 

L’avis du boucher 

À Montréal, le bison n’est pas disponible partout, mais on peut le trouver haché dans les grandes chaînes de supermarchés, dont Métro, et en steak chez certains bouchers. L’une de ces boucheries : Les Volailles et Gibiers Fernando, située sur le Plateau Mont-Royal. C’est dans cette institution alimentaire que j’ai rencontré Stéphane, le boucher, qui travaille dans l’industrie depuis 45 ans, et estime avoir « dépecé, abattu et portionné à peu près tous les animaux qui existent, sauf des éléphants parce qu’il n’y en a pas au Canada ». 

En parlant du bison, Stéphane affirme qu’il « adore ça parce que ça sort de l’ordinaire… Et c’est ça qui est agréable ». Selon lui, comme les autres viandes exotiques, l’essentiel est que le consommateur soit bien informé : connaître le descriptif, l’origine, les différentes possibilités culinaires, et savoir à quoi s’attendre. Par exemple, le bison est aujourd’hui considéré comme un gibier ; un terme qui pourrait faire hausser les sourcils de certains. Mais ce statut, nous indique Stéphane, est trompeur, parce que cela va faire plus que 100 ans que ces animaux sont élevés par des humains. Il en résulte une viande au goût peut-être un peu plus prononcé que les habitudes du consommateur, mais rien d’excessif ni d’intimidant.

Et pour la cuisson ? Comparé au bœuf, « c’est le même procédé ». Il me montre ainsi une pièce entière du faux-filet d’un bison, un morceau qui se trouve dans le dos de l’animal, et qui, une fois coupé en tranches, forme des steaks très tendres et appréciés dans le monde culinaire. Stéphane ajoute : « C’est la même pièce que le bœuf. C’est cuit de la même façon, selon vos goûts, c’est-à-dire qu’on peut aller de bleu à semelle de botte [très cuit] ». Et la méthode de cuisson ? « Autant au poêlon qu’au barbecue, on peut même le faire braiser ou en faire des sautés. Sky’s the limit », me dit-t-il. 

Il en résulte une viande au goût peut-
être un peu plus prononcé que les

habitudes du consommateur, mais rien
d’excessif ni d’intimidant

Malgré un coût assez élevé, le bison d’élevage voit sa popularité croître au Canada. Entre 2016 et 2021, l’Association canadienne du bison constate une augmentation de 25,3% de leur population. Stéphane évoque un changement d’habitude de la part de notre génération. On s’éloigne de « l’habitude de nos parents, de nos grands-parents, qui, eux, étaient plus des consommateurs de viande et de volailles conventionnelles ». Au contraire, « les gens maintenant ont tendance à vouloir explorer un peu plus, surtout les nouvelles générations qui sont moins ancrées dans leurs habitudes et qui ont plus le goût du risque ». 

En fin de compte, le bison ne remplacera sans doute pas le bœuf dans votre régime quotidien. Je pense pourtant qu’il mérite une petite place dans votre assiette, surtout pour des occasions spéciales. Ce serait un choix environnemental, vous encourageriez les éleveurs canadiens, et vous pourriez élargir votre palette gastronomique. Quoi de mieux ?


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