Aller au contenu

Le Québec au Festival international du film d’animation d’Annecy

Deux films coproduits au Québec se distinguent.

Stu Doré | Le Délit

Du 8 au 14 juin 2025, Annecy, petite ville des Alpes françaises, accueille près de vingt mille participants pour son fameux Festival international du film d’animation. Professionnels du domaine et amateurs du monde entier se pressent pour assister à des conférences, des expositions et des projections de films.

En tant que l’un des leaders mondiaux en matière d’animation, le Québec est fréquemment représenté au festival d’Annecy, et cette année ne fait pas exception. Au cours de la semaine de festivités, le public a pu découvrir une dizaine de films québécois. Plus de soixante-dix professionnels de l’audiovisuel, ainsi qu’une quarantaine d’entreprises québécoises ont pris part au Marché international du film d’animation d’Annecy (MIFA). Ce marché des exposants met en lumière le côté professionnel de cet événement, où tous les acteurs de l’industrie – réalisateurs, étudiants et sociétés de production – peuvent se retrouver.

Parmi la sélection officielle, deux films coproduits au Québec se distinguent : Allah n’est pas obligé et La mort n’existe pas.

Allah n’est pas obligé

Réalisé par Zaven Najiar et adapté du roman éponyme, Allah n’est pas obligé est une coproduction entre le Québec, la France et le Luxembourg, tirant profit des accords cinématographiques qui unissent ces pays francophones. Le film retrace le destin de Birahima, un jeune garçon ivoirien, espiègle et candide, entraîné malgré lui dans l’univers brutal des enfants soldats.

Si Allah n’est pas obligé relève de la fiction, son propos s’inspire directement de faits réels. À l’origine du roman, des enfants soldats rescapés des conflits en Afrique de l’Ouest ont demandé à l’auteur, Ahmadou Kourouma, de raconter leur histoire – ce qu’il a accepté de faire.

Le film adopte un ton léger, presque humoristique, en misant sur des couleurs vives, une musique entraînante et un style graphique rappelant les dessins animés pour enfants. Ce choix délibéré crée un contraste saisissant avec l’horreur des conflits armés, où des miliciens adultes réduisent les enfants au rôle de soldats et de chair à canon.

« Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ces choses ici-bas ». Telle est la conclusion que pose Birahima à la fin de son récit. Le monde, le protagoniste l’a découvert très tôt, est rempli de choses injustes : mort, guerre, violence… L’univers, et Allah, ne sont soumis à aucune obligation quant à la vie des Hommes – juste ou injuste.

« Après tout, l’IA ne peut exister ni subsister par elle-même : elle est générative, non pas créative, et a besoin de se nourrir de contenu original et humain »

Quand l’écran fond au noir, pour un long moment personne ne bouge ni ne parle. Puis, un tonnerre d’applaudissements éclate, durant plusieurs minutes. À la sortie de la séance, quelques personnes sont questionnées par l’équipe du festival sur leur ressenti du film, et leurs réponses sont presque unanimes : la mise en scène est magnifique, les personnages attachants, et l’histoire tout autant éducative qu’intéressante.

La mort n’existe pas

Quel est le bon choix, entre commettre un acte de violence contre un système injuste, et maintenir le statu quo ? À partir de quand devient-on terroriste – ou complice ? Et qu’est-ce qui est préférable ? Voici les questions que nous pose La mort n’existe pas, long-métrage d’animation réalisé par Félix Dufour-Laperrière, diplômé de l’école de cinéma de l’Université Concordia. La protagoniste, Hélène, et ses amis décident d’orchestrer un attentat contre une famille de riches oligarques. Au dernier moment, Hélène abandonne l’affaire, l’attaque échoue, et la protagoniste se retrouve hantée par Manon, son amie et complice. Cette dernière considère la décision de son amie comme lâche et pathétique, et l’encourage à reconsidérer ses actions. Si Hélène devait se retrouver dans la même situation, pistolet à la main et compagnons àses côtés, agirait-elle autrement ?

Le film emprunte beaucoup aux contes et regorge de poésie. La musique est écrasante, les couleurs étranges et une sorte de violence désinvolte semble émerger du monde fantasmagorique dépeint par le réalisateur. Chaque détail en cache mille autres, et les métaphores sont si profondément enchevêtrées dans le récit qu’elles en deviennent indissociables.

De fait, lors d’une courte entrevue avec Félix Dufour-Laperrière, celui-ci a révélé s’être fortement inspiré de la crise d’octobre de 1970 au Québec. À la suite d’une série d’enlèvements politiques orchestrés par le Front de libération du Québec (FLQ), un « état d’insurrection présumée » est déclaré au Québec et la Loi sur les mesures de guerre est mise en place. La suspension des libertés civiles a entraîné de nombreuses controverses dans la province. La mort n’existe pas s’inscrit dans la continuation de ces questionnements : l’histoire se déroule dans un monde strict et, on le devine facilement, liberticide. Le film pose la question « jusqu’où doit-on être prêt à aller pour revendiquer nos libertés ? » Il utilise notamment l’histoire québécoise comme miroir pour pousser le public à s’interroger sur le monde d’aujourd’hui.

Le futur de l’animation au Québec

Le Québec possède des infrastructures et des innovations techniques de pointe, des artistes et techniciens qualifiés, ainsi que des subventions fédérales attrayantes pour les sociétés de productions internationales. Toutefois, le doute plane quant à l’avenir de cette industrie.

Il y a tout d’abord les menaces habituelles, propres à toutes les industries, parmi lesquelles l’intelligence artificielle (IA). Nombreux sont ceux qui prédisent le pire : un futur où artistes et animateurs sont remplacés par l’IA et l’industrie entièrement robotisée.

Au cours d’une entrevue avec Brice Garnier, producteur québécois de films d’animation, ce dernier a expliqué que ce problème – bien que très réel – ne représentait pas, à ce jour, une menace suffisante pour détruire l’industrie du cinéma d’animation. Après tout, l’IA ne peut exister ni subsister par elle-même : elle est générative, non pas créative, et a besoin de se nourrir de contenu original et humain. Selon Garnier, l’utilisation de l’IA pour des tâches répétitives et sans intérêt artistique, comme des décors intervalles, peut sembler inévitable. Néanmoins, l’artiste devrait rester prépondérant dans l’élaboration de scènes plus « grandiloquentes ». Comme le fait valoir M. Garnier, « l’animation doit être l’une des industries qui subissent le plus l’évolution de la technologie […]. Là, c’est l’IA ; demain, ça sera encore autre chose. »

Si la menace de l’IA demeure encore trop abstraite pour représenter un réel danger, la réforme des crédits d’impôt québécois est une autre histoire. Pendant longtemps, l’industrie de l’animation québécoise a bénéficié de ces généreuses aides financières, attirant de nombreux studios et sociétés de production internationales dans la province. Mais depuis la fin de 2024, le gouvernement du Québec a pris la décision d’ajuster le plafond, limitant les crédits d’impôt à 65 % et réduisant significativement l’avantage fiscal qui faisait l’attrait du Québec. Cette mesure a provoqué une chute brutale des revenus, une vague de licenciements et des délocalisations vers des marchés plus compétitifs.

Véronique Tassart, directrice de l’intégration, des fusions et acquisitions de Cinesite, a révélé que l’entreprise avait perdu trois contrats quelques semaines après l’annonce de cette réforme.

Bien que plusieurs solutions ont été avancées afin de trouver un compromis avec le gouvernement, ce dernier demeure malheureusement inflexible en la matière.


Dans la même édition